23 mai 2006

Les multiples chemins de la connaissance

Dans mes deux derniers petits billets, j'ai évoqué très obliquement les vastes étendues des domaines couverts par la psychologie universitaire et la psychologie pratique, toutes deux occupant le paysage actuel de la connaissance psychologique de l'homme ; ce découpage ne va pas sans nous rappeler le très connu clivage, psychologie scientifique/psychologie clinique, dont l'approche expérimentale chez la première est proche de la biologie, et chez la seconde de la métaphysique. Je me suis un peu plus attardée sur le cas à part que représente la psychanalyse en ce sens qu'elle est la discipline qui embrasse le mieux les problèmes profonds que soulève l'étude de l'âme humaine. Partant, je ne suis, volontairement, toujours pas entrée dans le vif du sujet concernant la psychologie jungienne qui comme vous le savez m'intéresse à plus d'un titre. La raison en est fort simple : je ne désire pas pénétrer trop vite au cœur même des notions qui fondent la psychologie de Jung pour ne point trop donner à croire à notre imagination vagabonde que nous sommes déjà partis vers notre soi – une personnalité globale et mieux intégrée - alors qu'à la base aucun vrai départ n'a été enregistré. En effet, le grand voyage qui doit normalement conduire au "grand soi" et par là même à la connaissance des grands archétypes commence par la traversée initiale de l'inconscient personnel. L'inconscient personnel contient tous les complexes*, ainsi que l'ensemble des éléments que nous avons refoulés du conscient. En somme, l'inconscient personnel correspond en grande partie à cette figure qui apparaît souvent dans les rêves et que Jung a appelé l'ombre. De plus, nous savons également que l'inconscient personnel reste profondément marqué par la relation intime que nous avons eue avec nos parents. J'ai retrouvé à ce propos dans la préface écrite par Roland Cohen et consacrée au livre de Jung, L'homme à la découverte de son âme – éd Albin Michel -exprimé très clairement ce que je pense sur le sujet :

"Si un jungien doit savoir être aussi freudien et adlérien, c'est d'abord pour éviter des malentendus ; il est des esprits qui en s'emparant de Jung et de son œuvre espèrent retrouver une solution de facilité, dans un sens de couardise, pour ne pas dire de lâcheté. Sauté par exemple directement sur le plan des archétypes en espérant ainsi, grâce à cette espèce de charme et d'onction qui émane des idées éternelles, pouvoir court-circuiter les plans de l'ombre, les plans du marécage qui existent en chacun et qui, plans de l'inconscient personnel, correspondent en bref au plan freudien (l'éternel drame "papas, maman, la bonne et moi" comme le disent les humoristes"), serait la source des plus graves malentendus".
*Complexe : Ensemble idéo-affectifs à fortes charges émotionnelles, les complexes sont des constituants normaux de la psyché


L'histoire des idées psychologiques

La psychanalyse, donc, comme cela a été dit, s'est fixée comme objectif de conduire l'analysant au bien-être par le rétablissement d'un accord harmonieux entre lui-même et la réalité.
William Blake, Origine du mondeJe propose de regarder à présent comment historiquement les savants et les penseurs ont contribué à faire progresser la vision humaine du monde réel. En effet, avec l'apparition de la pensée indépendante des choses extérieures, autrement dit après l'époque de l'union religieuse de l'homme avec la nature, s'est exprimé le besoin typiquement humain de réfléchir et de produire des idées sur le monde. Des idées, notamment, sur la manière dont le monde paraissait concevable : Qu'est-ce-que le monde ? Comment connaître le monde réel ? Quel ordre rechercher ou bien inventer ? Comment connaître le fondement vrai des choses de ce monde ? Ce désir dans l'homme de connaître devenu manifeste de très bonne heure d'abord au moyen d'idées rendues autonomes doit sans doute son existence à la présence dans l'homme d'une dose conséquente de crainte et d'angoisse ; crainte de la souffrance et de la mort, angoisse de devoir vivre dans un monde d'incertitude. Le désir de connaître est né également du goût naturel qu'ont développé les humains pour les choses qui aident à mieux diriger sa vie dans le monde.
Les premières conceptions philosophiques sur le monde conçues comme un tout tombèrent dans la Grèce Antique dés le VIème siècle av Jc. Et donnèrent naissance aux grands systèmes philosophiques qui influencent encore aujourd'hui nos grands systèmes de penser. On a l'habitude, d'ailleurs, pour revenir à la psychologie, de considérer que la philosophie étudie le monde et la psychologie l'âme. La ressemblance entre ces deux disciplines reste, bien entendu, très forte. Puisque les deux tentent de produire différentes opinions sur des thèmes plus ou moins abstraits. Jusqu'au début du XXème siècle d'ailleurs, la psychologie formait une partie de la philosophie. La psychologie depuis revendique haut et fort son autonomie, toutefois, il faut bien garder présent à l'esprit que la plupart des questions d'ordre psychologique que se pose la psychologie contemporaine sont issues des grands débats philosophiques fondateurs.

Les conceptions philosophiques qui ont le plus marqué l'esprit des Occidentaux sont celles de Platon et d'Aristote : le premier, grand philosophe idéaliste, considérait que la vraie réalité résidait dans le monde supérieur des essences, un monde lointain et inaccessible par les sens. Platon imagina un second monde, celui dans lequel nous vivons, qu'il voyait comme secondaire voire illusoire. Ces deux composantes du monde antique, la rationalité - c'est-à-dire le monde sensible qui se manifeste au sens et l'irrationalité - c'est-à-dire le monde latent constitué de vérités issues d'un monde supérieur - n'ont pas perdu de leur fraîcheur puisqu'elles sont en rapport avec les grands sujets en débat qui animent encore aujourd'hui la psychologie contemporaine.

Un peu plus tard, nous verrons que dans l'Occident chrétien et ce jusqu'au XVIe siècle, à l'opposé des conceptions hellénistes qui décrivaient l'existence de deux mondes bien distincts, les penseurs de l'époque chrétienne virent la jonction qu'il existait de manière permanente entre le monde sacré de Dieu et le monde sensible. Les deux mondes communiquaient, selon eux, en permanence ; Dieu était en quelque sorte, pour les théologiens de l'époque médiévale, celui qui pouvait intervenir dans ce monde pour rétablir l'harmonie par exemple.
L'autre point que nous soulignerons est que pour le théologien Saint Augustin, le monde sensible constituait une illusion tant qu'il n'était pas éclairé par la foi.

Quelques siècles plus tard, les rationalistes, tel que Descartes par exemple, vont croire eux en l'existence d'une raison plus ou moins divine ; pour la mentalité rationaliste, si nous voulons connaître la vérité sur le monde nous devons nous référer à la Déesse Raison.
S'ensuivra derrière notamment la venue des idées de Newton (personnage érudit qui a mathématisé l'astronomie) l'affirmation d'une connaissance qui ne peut résulter seulement de l'expérience de la réalité que nous faisons par les sens ; autrement dit c'est dans la perception du monde que nous découvrons des vérités sur le monde, non en nous même – et non plus par l'exercice de la raison, ainsi que l'affirmait Descartes.
Après les idées de Newton, le recours à la quantification et à la mesure devint indispensable pour la saisie du monde réel.

Il est clair que les grandes idées de la psychologie contemporaine sont nées de l'influence qu'ont exercé sur elle, la philosophie, puis la théologie, et plus tard les idées scientifiques.
En fait, le développement des phénomènes psychologiques n'est pas soumis à un ordre linéaire et prévisible ; il varie constamment en fonction de l'histoire culturelle, et surtout tant que l'on s'en tient à une psychologie "idéologique", il est soumis aux idées collectives dominantes du moment. Par exemple si nous nous référons au domaine d'exploration privilégié actuel, qui est celui de la psychologie cognitive - psychologie qui a le vent en poupe - où le sujet humain est pensé à l'image d'un ordinateur, comme un système de traitement de l'information ; le lien évident qui existe entre les idées du modèle cognitif privilégié et le développement actuel des nouvelles technologies de communication saute ici aux yeux.

Mais comme je ne veux pas m'éterniser sur la très longue liste qui vous fatiguerait vite d'idées psychologiques prises au piège du contexte socioculturel, mon exposé sur le développement de la psychologie idéologique se bornera à vous communiquer le bref aperçu historique dont je viens de vous brosser un grand tableau en quelques lignes à l'instant. La psychologie analytique de Jung offre, selon moi à la connaissance du monde et de l'homme, des descriptions beaucoup plus inclusives, et profondes, et qui tiennent compte surtout d'un principe spirituel tout aussi inaccessible et énigmatique, du reste, que celui qui constitue la matière. C'est pourquoi je m'intéresserais bientôt uniquement à cette psychologie mais seulement après avoir tracé dans le prochain petit billet, l'histoire de la découverte de l'inconscient personnel inauguré par Freud.


L'animisme :

Connaître par l'ordre subjectif

"L'homme archaïque se contente de faire, seul l'homme civilisé sait ce qu'il fait".

Arborigènes mimant leur totemCette phrase de Jung résume bien la différence majeure du type de démarche psychologique qui peut s'observer entre l'homme dit primitif et nous, l'homme pensant.
L'homme primitif n'a, certes, pas atteint notre degré de différenciation psychique. Il s'est développé en quelque sorte, à l'envers de nous ; sa pensée et toute sa sensibilité lui sont quasiment inconscientes, vu qu'il n'a pas opéré de séparation entre le psychique subjectif (sa psyché, et sa vie mentale) et l'objectif naturel (tous les objets matériels en dehors de lui). Voilà pourquoi, l'homme archaïque ne distingue pas non plus son monde intérieur du monde extérieur.
L'animisme est le terme technique qui désigne la croyance aux âmes et aux esprits. Si L'homme archaïque voit des âmes et des esprits partout, c'est parce qu'en fait, , il projette sa propre activité mentale inconsciente, donc, sur les objets du monde ; les deux n'étant pas séparé, comme je le disais. Sa vie psychique apparaît en quelque sorte dissimulée au-dehors ou autrement dit dans tous les objets matériels ; les animaux, les arbres, les plantes, les montagnes. Quand une fraction essentielle de son âme est projetée sur une personne, on dit que cette personne acquiert une efficacité extraordinaire, on l'appelle également une personnalité mana*, et elle devient, soit Lou garou, soit sorcier, soit magicien, c'est-à-dire quelqu'un doué de force magique ; cela, parce qu'elle renferme une part essentielle de la vitalité psychique de celui qui projette. La projection de la psyché sur les objets, les choses et les personnes par les hommes primitifs, Lucien Lévy-Bruhl l'a appelée la participation mystique.
Ce que peu de personnes savent et reconnaissent, c'est que la projection psychologique des primitifs est un phénomène ordinaire, s'exprimant même chez l'homme rationnel ; simplement, en général nous ne croyons pas que cela puisse véritablement nous concerner.
Revenons à notre aperçu historique ; la conception primitive permet de voir que l'homme qui vivait dans la matrice de la nature se contentait, en fait, de l'interroger pour connaître, mais qu'en fait c'est lui-même et tout particulièrement son intérieur qui produisait les réponses. C'est pourquoi aussi l'homme primitif reste en grande partie dominé par ses peurs et ses angoisses intérieures. De sorte que nous pouvons dire que la différenciation psychique représente une avancée formidable et indispensable pour le bien-être de l'esprit humain.

* le mana correspond à l'énergie qui agit et qui produit des effets extraordinaires, ou magiques. On parlera de personnalités mana.


Le platonisisme et l'aristotinisme grec :

Connaître par l'ordre spirituel ou par l'ordre physique ?

Platon&AristotePlaton et Aristote sont deux figures importantes de l'Antiquité qui illustrent des tendances opposées dans leur conception de la vérité. Le premier était tourné vers le ciel, l'autre vers la terre. Comme cela se dit souvent, nous sommes, en fait, leurs enfants : "leur empreinte est visible dans nos manières de penser, de classer, de conduire un débat".

Platon, le célèbre philosophe idéaliste imagine un monde séparé qui correspond à sa théorie des deux mondes. Pour Platon, le premier est le monde sensible, monde dans lequel nous vivons et qui renferme toute la nature que nous voyons, tous les corps, toute la matière. Ce monde embrasse l'ensemble du domaine visible. Mais aux yeux de Platon, cet univers est illusoire, passager, secondaire. Ce n'est que le second monde - c'est-à-dire celui du domaine invisible- qu'il nomme le monde intelligible ou de essences et qui détermine et dicte ce que doivent devenir les formes matérielles passagères et illusoires. Le monde intelligible est aussi appelé le monde des idées - voire la théorie des Idées de Platon - Le vrai monde pour l'univers platonicien ressemble à un cosmos, à une harmonie naturelle où se tient le bien, le vrai et le beau ;
Chez Platon, les Idées représentent en somme la forme la plus élevée de la connaissance véritable. Seule l'âme les connaît, car elle a séjourné dans le monde intelligible au cours d'une existence antérieure. Mais elle les a oubliées en ré- entrant dans le corps physique.
La "dialectique" de Platon est précisément une technique fondée sur le dialogue qui permet de mettre en lumière les Idées qui sont restées longtemps plongées dans l'obscurité, autrement dit dans l'âme.

Aristote, à l'inverse des conceptions idéalistes de Platon, est un philosophe grec réaliste qui a été vingt et un an durant, le disciple de Platon. Il fut aussi son adversaire le plus critique et le plus redoutable ! Rien de plus normal, Aristote incarne le pôle intellectuel opposé à celui de Platon. Les deux signent, en fait, le clivage théoricien contre pragmaticien. En effet, si Platon, le philosophe toujours en quête de perfection divine, invente une figure du bien si haute et si lumineuse qu'on ne peut la décrire, Aristote ventera lui le bien humain qui est "activité de l'âme" sur cette terre. Aristote va s'appliquer en fait, à trouver en ce monde, "l'universel, dans ses régularités et ses lois", d'où son esprit organisateur et classificateur qu'on lui connaît ; il se livre avec soin à la recherche d'un dieu caché dans la matière, un dieu des formes qui modèle éternellement la matière. Car pour Aristote, l'âme correspond à la forme, c'est-à-dire à ce qui doit devenir. L'âme et le corps deviennent complémentaires selon ses vues, puisque l'âme se voit dans la forme du corps. Pour Aristote, chaque objet individuel, doit se conformer à sa forme, autrement dit à son destin, à son avenir dicté par la matière. Le déploiement de l'essence -ou l'âme- dans la matière, Aristote le nomme l'entéléchie, ou réalité complète – mot qui vient du grectélos qui veut dire, but, ou ce qui est réalisé-
En somme, la métaphysique d'Aristote nous dit que le bien souverain n'est pas à rechercher dans une quelconque région transcendantale du monde qu'aurait imaginé Platon, mais qu'elle naît plutôt du "seul contact entre les hommes libres".


L'époque préchrétienne et médiévale :

Connaître par la foi et la croyance

L'autre berceau au sein duquel vont naître les problématiques et débats constitutifs de la psychologie est celui de la théologie médiévale.
La création Adam et Eve chassés du paradie ChantillyMais pour pouvoir satisfaire l'exigence de clarté que réclame ce passage de l'histoire, nous nous devons de remonter à la source des évènements qui ont provoqué l'installation du christianisme comme religion d'État et ce jusqu'au haut Moyen âge au moins. À strictement parler, la théologie préchrétienne a vu le jour au début de notre ère au moment où le monde sortait d'une très grande décomposition morale. Cette période correspond à la ruine du monde antique* et dura du IIIe siècle jusqu'au IVème. En grande partie, la déchéance de l'empire antique fut causée par l'arrivée du christianisme qui fut reconnu comme religion d'état pendant le règne de l'empereur romain Théodose 1er le Grand (379-395). Le monde occidental est passé du paganisme - religion aux mœurs libres et relâchées et toute imprégnée de mythologie au christianisme, - religion soumise à un ascétisme strict et très sévère - ; nous retrouvons là, sans doute, la marque d'un saut spirituel important. Pourtant nombreux sont ceux qui se demandent encore aujourd'hui comment ce basculement a-t-il pu se produire ? Nous savons seulement que le passage de la religion des Grecs et des Romains, à l'avènement de la Grande Eglise s'est fait sous fond de désordre et de crise sociale et psychologique très graves. Quels en furent les principaux facteurs déclencheurs ? Sans doute furent responsables : l'invasion des cultes orientaux qui grandissaient dangereusement ; les rites des religions à mystères qui devenaient de plus en plus populaires et risquaient de déstabiliser à tout moment la religion traditionnelle romaine en place. Les Mystères d'Isis et de Mithra, le culte de Sol invictus et le monothéisme solaire, rendirent, eux aussi, la compétition difficile dans l'instauration du christianisme. La persécution des chrétiens par les Romains faisait rage aussi à cette époque de grandes perturbations, du même coup, les chrétiens devinrent un peuple martyr. L'état d'attente d'un désastre immanent dans lequel se trouvait la population a dû également beaucoup jouer; sans compter que les hérésies et les gnoses tentaient elles aussi de s'imposer malgré les fortes tensions psychologiques qui régnaient dans le monde à cette époque. En quelque sorte, le christianisme profita de cette période de grand désordre et d'instabilité pour s'infiltrer peu à peu partout dans l'empire et dans toutes les couches sociales.
En dernière analyse, nous pouvons dire comme Hegel, que la disparation de la religion antique causée par l'avènement du christianisme eut lieu par refoulement de la religion païenne.
Dans le même temps, le changement de révérenciel religieux, créa un début de distanciation notable avec le monde, ce que Jung a nommé l'éloignement chrétien du monde avec lutte contre le monde sensible, je le cite :

par un travail séculaire d'éducation, le christianisme a refréné l'impulsivité animale de l'Antiquité ainsi que celle des siècles barbares ultérieurs, au point qu'une énorme masse de forces instinctives put se libérer pour construire une civilisation. L'effet de cette éducation se manifeste d'abord en un changement fondamental d'attitude, c'est-à-dire l'éloignement du monde et la recherche de l'au-delà caractéristique des premiers siècles chrétiens.


Au regard de notre analyse en cours sur l'origine des idées psychologiques, nous pouvons dire que c'est grâce à cette distanciation prise par rapport au monde des sens et des plaisirs instaurés par le christianisme que le développement plus tard de l'esprit scientifique devint possible.

Comment apparaît le monde aux yeux des penseurs et savants de l'époque médiévale ?
La source de toute connaissance réside dans l'Evangiles. Le monde a été créé par dieu, il n'est plus éternel comme le pensait Aristote. Pour connaître, il faut posséder Dieu en soi. Dans la théologie chrétienne, Dieu est complètement incarné dans un être vivant, Jésus. Il s'est substantifié, il est devenu logos. On assiste de fait au retour du sacré ou du divin dans le monde des objets. La pensée religieuse et l'ascétisme envahissent à peu près tous les milieux de sorte qu'au moment du triomphe de la Grande Eglise, l'homme ne pense presque plus, il se contente de croire et d'aimer Dieu.

On distingue deux grands systèmes de pensée au moyen-âge : celui de Saint Augustin et celui de Saint Thomas d'Aquin :

Saint Augustin
Le très grand mystique chrétien et écrivain de génie, Saint Augustin (353-430), fut le témoin de l'affirmation du christianisme, seule foi autorisée au VIème siècle de notre ère. Cet homme remarquablement épris de Dieu n'a pas tant cherché à prouver l'existence de Dieu, qu'à poser le problème de la foi : "don de Dieu qui doit être nourrie, soutenue par l'exercice, d'une raison humaine".
Saint Augustin""Il faut comprendre pour croire", affirmait-il. La foi cherche dieu, mais c'est l'intelligence qui le trouve. Intelligence qui le trouve dans les vérités éternelles.
Le but de l'intelligence de Dieu, pour Saint Augustin, était moins la science que la sagesse laquelle possède à la fois un aspect affectif et une dimension de contemplation. Pour autant, la connaissance de Dieu par la méthode d'approche augustinienne n'enlève rien au mystère de Dieu. Ce mystère transparaît par exemple au travers de l'existence de trois personnes en Dieu. À travers toutes la création, par exemple, nous retrouvons aussi la trace d'un rythme ternaire : "mesure, nombre, poids ; unité, forme, ordre ; être, forme, subsistance ; physique, logique, éthique ; naturel, rationnel, moral". Mais cette structure se révèle dans l'homme surtout : "Esprit, connaissance, amour ; mémoire, intelligence, volonté ; mémoire de Dieu, intelligence, amour".
Pour l'augustinisme enfin, "le monde existe sur un mode sacré. La source de toute connaissance se trouve dans les textes sacrés, et les rapports entre le monde sensible et le monde religieux ou sacré s'effectuent par le Christ qui condense en lui un double nature - sacrée et profane" -
Cette idée d'intermédiaire entre monde profane et monde sacré se retrouve dans les structures médiatrices qu'examine la psychologie contemporaine entre le sensible et l'abstrait, entre sensation et connaissance.

Saint Thomas d'Aquin
cours de philosophie à la faculté des arts au Moyen âgeAu XIIIe siècle, avec le développement économique, les thèses religieuses deviennent insuffisantes, le développement des universités échappe de plus en plus aux contrôles des évêques ; les arts libéraux ou païens – c'est-à-dire la logique, la grammaire et l'arithmétique tendent à se développer. On nomme cette époque la période préscolastique. Deux vérités cherchent à s'imposer : la raison humaine et la foi chrétienne notamment sur le thème de la création. Les philosophes qui ont lu Aristote soutiennent l'éternité du monde, les religieux attestent, eux, que le monde a eu un commencement. Seul, Thomas d'Aquin ne voit "aucune impossibilité logique à tenir que le monde fut à la fois créé et éternel". Dieu aurait pu créer un monde éternel. Thomas d'Aquin réalise une synthèse entre les textes sacrés et ceux d'Aristote. Pour lui, si la raison est divine, elle ne peut contredire les dogmes de la révélation. Par le raisonnement, nous pouvons accéder aux substances secondes - c'est-à-dire aux Universaux - pense-t-il. Par opposition aux substances premières qui sont les choses perçues par les sens : les formes, les objets individuels…Cette vision est nommée réalisme, et elle ouvrira sur la grande querelle des Universaux du XIème siècle.
Ce qui ressort des thèses de Saint Thomas d'Aquin, c'est l'idée que la nature est ordre (qui est nommé le fixisme) et qu'on y accède par l'exercice de l'intellect. L'idée d'un ordre immuable et fixe de la nature ne manquera pas bien sûr de faire école, et on la vit notamment se répandre au moment de la naissance des sciences physiques.


*La fin historique du paganisme ne peut être mieux illustrée par l'incendie du sanctuaire d'Eleusis, en 396 par Alaric, le roi des Goths. À cause de cette profanation, le rituel initiatique disparaîtra pour toujours.

L'époque de la renaissance

Connaître de l'intérieur

Avec Thomas d'Aquin, l'autonomie de la raison avait largement commencé. Au XV et XVIIe siècle, l'essor philosophique et scientifique s'accentue. La science doit devenir recherche de connaissances utiles et servir de plus en plus l'essor économique de l'Occident. Un grand bouleversement religieux va marquer cette époque : la réforme luthérienne.
Luther, moine augustin, né en 1483, a une révélation ; il acquiert la conviction que l'homme n'est pas sauvé et promis au Paradis grâce à ses œuvres sur terre, mais "qu'il n'est justifié, et sauvé, que par la foi". Cette affirmation constitue une véritable révolution théologique ; la vérité est à l'intérieur de chacun et c'est par un retournement sur soi, c'est-à-dire "dans la solitude mais librement" qu'on y accède. Sur le plan théologique, Luther rend le chrétien maître de lui-même.
Pour la psychologie, la réforme luthérienne aura un impact décisif puisqu'elle emmènera la séparation entre l'homme intérieur –l'homme libre - et l'homme extérieur, celui dont les actes et le comportement sont soumis à un pouvoir et à un contrôle externe.

Connaître par le cogito cartésien

Blake - mélancolie - Pour Descartes (1596 – 1650), seul l'exercice de la raison est un moyen de connaissance. Plus nous pensons et plus nous avons des chances d'accéder aux vérités universelles qui sont constituées d'idées innées, dites "connaissance facile, communes, et immédiates". Il oppose notamment les représentations et la raison. Les représentations correspondent aux qualités premières du corps. La perception sensible qualitative et non fiable en fait partie : l'odorat, la couleur, le goût entre autre.
La raison, elle, relève de la perception mathématique quantitative et correspond, selon Descartes à la vraie connaissance intellectuelle. Selon l'exigence de Descartes, il n'y a que ce qui est clair et évident –autrement dit obtenue grâce à une inhibition radicale de toute émotion - qui puisse être vrai. "Seul ce qui est saisi logiquement et rationnellement peut être vrai ; l'entendement est donc par là l'unique garant de la vérité" .
Pour Descartes, la raison ou l'entendement, est l'outil donné par Dieu ; pour le connaître, il faut faire fonctionner la pensée, d'où la méthode cartésienne de l'exercice de la raison, qui démarre par le doute.
Du même coup, le dualisme cartésien permis d'engendrer une désacralisation du corps humain. Puisque la pensée par la raison qui est le propre de la substance spirituelle est caractéristique de l'homme ; l'animal, lui en est dépourvu. Tout ce qui constitue un corps peut être à présent considéré comme une machine. L'animal comme le corps de l'homme est mu selon le mode de l'action "réflexe" pour Descartes. (Les esprits animaux notamment se reflétaient dans le cerveau, dans la glande pinéale ; c'est elle qui animait les muscles). Cette affirmation avait l'avantage de permettre la vivisection des animaux expérimentaux. Elle permit également de revoir l'idée que l'on se faisait à l'époque des fous. Après Descartes, par exemple, le corps ne pouvait plus être pensé posséder par le démon. "La folie s'installe quand le doute ne s'exerce plus, la folie est déraison, atteinte de l'ordre rationnel".


L'homme des lumières

Connaître par la perception

Dieu créateurDans l'histoire des idées, le siècle des lumières (le XVIIIe siècle) fait référence en premier lieu, à "une sorte d'idéal universel offert à tous". En effet, pendant le règne de la pensée religieuse, ceux qui ne bénéficiaient pas du salut, parce qu'ils ne croyaient pas en Dieu, étaient exclus du système social. C'est pour pallier à l'intolérance et à l'exclusion systématique que les Lumières ont vu le jour. De plus, dès que le paradigme de Newton devint célèbre, toutes références aux spéculations coupées du réel furent écartées et rejetées.
Connaître pour l'homme des lumières, c'est observer et mesurer. Le goût de l'expérimentation maintenant tous les sens en éveil, notamment celui de l'observation (la vue) s'accentua considérablement. Cela sans doute beaucoup pour compenser la position radicale et unique qu'avait tenue Descartes en matière de connaissance, en ce sens que pour ce dernier, la conscience (pensée ou esprit) claire était une conscience partielle, autrement dit amputée de la complexité des émotions ainsi que des perceptions par les différents corps sensibles.


J. Locke (1632-1704)
Le philosophe anglais proposera des thèses opposées à l'innéisme de Descartes.
Pour cet homme du début des lumières, les idées naissent à l'intérieur suite aux perceptions du monde. Autrement dit c'est dans la perception du monde que nous découvrons des vérités sur le monde et non en nous-même. Avec Locke, la théorie de la connaissance empirique se développe. Les puissances internes de l'esprit – la mémoire, l'attention ainsi que la volonté se mettent à jouer un rôle important dans l'acquisition des connaissances. Locke, en fait, ne se soucie pas de connaître la nature même de l'esprit, il préfère en observer les manifestations.

Les philosophes empiristes par suite vont susciter l'envie de s'intéresser davantage au poids décisif de l'éducation des enfants. Si celle-ci est bien réalisée, l'éducation formera un entendement bien fait. Avec Locke, la raison cesse d'être innée, mais elle devient une spécificité de l'homme.


L'homme romantique

Connaître par la défense de l'irrationnel

Waterfull Stefan WeissL'homme romantique (≈ 1760 – 1830) est né à la suite du trop plein de l'intellectualité que fit naître la pensée cartésienne, et que certains trouvèrent même beaucoup trop sèches. L'homme romantique c'est celui qui préfère privilégier l'imagination, les sentiments de l'amour, la sensibilité parfois morbide notamment dans la littérature. Citons les romantiques les plus connus : Goethe, Rousseau, Sade, Blake, Shakespeare, Michelet, Hugo, Berlioz, Novalis et Kleist, Coleridge et Shelley
Pour les romantiques, la conviction que la voie du salut est dans l'amour est ressentie très fortement. "L'amour peut quelquefois donner toutes les vertus que la religion et la morale prescrivent". Tel est ce qu'ils pensent.
L'essence même de l'homme romantique est de refuser les limites. Le désir de toucher chaque individu dans ce qu'il a de plus personnel s'exprime très fortement chez les écrivains romantiques : "sa capacité de sentir, de se souvenir, de souffrir, de s'élancer vers le divin ou vers l'infini, et de forger un style et une technique bien à lui" n'a pas d'égal.
N'oublions pas enfin, de souligner sa grande passion pour la nature. Pensons notamment à Rousseau…
La pensée romantique considère que la vérité exacte s'obtient par l'absence d'idées, l'absence de raison qui fait basculer dans l'irréel.
Les romantiques contestent donc, en priorité la raison, et affirment l'existence "de forces puissantes" inaccessibles à la connaissance sensible. Le sentiment, l'intuition et le ressenti, deviennent pour l'homme romantique source de toute vérité. Toute chose peut devenir ainsi un message de Dieu qu'il faut interpréter.
Pour la psychologie, le romantisme a pesé par sa défense de l'irrationnel, fonction, d'ailleurs, très largement étudié par Jung.


L'homme positif

Connaître par la science

L'époque du positivisme (1830-1840) correspond avant tout à une profusion de découvertes scientifiques et de savants. La science est conçue ici, comme une nouvelle religion.
Auguste ComteAuguste Comte sera choisi en 1837 pour définir le programme des modalités qui permettra de reconnaître ce qu'est la scientificité d'une chose. Il dénombre 6 sciences fondamentales : les mathématiques, la physique, l'astronomie, la chimie, la biologie, la sociologie.
Même si depuis le siècle des Lumières, l'homme n'est plus soumis à un ordre transcendantal ou divin qui le domine, Comte refusera au départ d'accorder le statut de science à la psychologie. Prétextant qu'une science de la nature humaine est impossible. Selon lui la nature humaine ne peut être appréhendée que par des discours métaphysiciens ou spéculatifs. De plus, la psychologie a recours à l'auto-observation, méthode que Comte récuse d'emblée.
Auguste Comte enfin reproche à notre toute jeune psychologie en lice dans la course vers l'attribution du titre de science positive, de toujours "subordonnées les fonctions affectives aux fonctions intellectuelles".
Toutefois Comte consentira à donner le titre de psychologie positive à la partie de la discipline que certains appellent la craniologie, d'autre la phrénologie ; laquelle est l'art de connaître les instincts, les penchants, et les dispositions morales et intellectuelles des hommes par l'étude de la configuration de leur cerveau et de leur tête. Il s'agit là d'une psychologie ni empiriste, et ni idéologique, mais "d'une psychologie constituée de faits et qui sera d'abord physiologique".

Concluons
Nous venons de voir que la route des idées psychologiques est jonchée d'étapes plus ou moins heureuses et houleuses, de rêves et d'idéologies plus ou moins brisés. Depuis l'avènement de la pensée moderne et scientifique, l'emprise de la pensée unique de la religion sur les idées se relâche. Et la quête du bonheur individuel s'est substituée en catimini à celle du salut. Le dogme de la parole divine s'est écroulé, mais je pense que nous devons toujours rester très prudents car la montée d'une éventuelle pensée contenant une idéologie qui fixe trop l'esprit dans une attitude unique est très vite arrivé.
N'en sommes-nous pas arrivés là d'ailleurs avec le règne de la pensée matérialiste en Occident ?
La connaissance réclame une ouverture et une diversité de penser infinies. Or ainsi qu'aimait à le dire Jung, "le fini ne saisira jamais l'infini". Alors, nous, sujets humains et organismes finis, restons humbles et toujours très tolérants au contact de tous les genres d'attitudes et modes de connaissance qui peuvent être pris en face du monde.
J'ai juste un petit bémol à formuler, au regard de l'état actuel de la psychologie. N'est-ce pas regrettable, tout de même, de constater que l'esprit humain est de nos jours regardé scientifiquement, à cause de l'influence des idées matérialistes et mécanistes du XIXe, dans une dépendance totale à la matière ? Seule la recherche de tel ou tel substrat biologique ou chimique expliquant tel ou tel fonctionnement de l'esprit intéresse les recherches scientifiques actuelles ; n'est-ce pas un peu dommage, et surtout très exclusif comme attitude ? Cela frise un peu trop la recherche unique ! La plupart des philosophes et des scientifiques intelligents se sont mis au début du XIXe à porter l'ordre physique et biologique au pinacle. Or comme le disait Jung, est-ce que la matière n'est pas autant une inconnue que l'esprit ? Voilà bien une question que la sphère bien gardée des chercheurs scientifiques en psychologie ne se prive pas d'éluder.




à suivre...

retour à l'accueil


© 2006 Copyright Lapisis - Reproduction interdite - tous droits réservés -