27 août 2013

Des motifs et des raisons de la pensée primitive




Les vacances d’été étant terminées, je peux de nouveau me mettre au partage de mes découvertes approfondies en rapport avec la psychologie jungienne. Sans oublier avant de souhaiter aux Internautes qui me lisent une très bonne rentrée !



La pensée imaginative de Jung et la pensée magique, apparentée à la pensée prélogique,  de Freud conduisent toutes les deux à produire une image subjective et déformée du monde. Mais les deux divergent radicalement sur deux points ; l’une, la pensée magique est issue de motifs conscients et présente un aspect naïf, puéril ; l’autre, la pensée non dirigée, suppose des motifs inconscients ; au surplus, possède un caractère spontanée et est douée d’initiative propre.  La divergence de vue des deux hommes, bien évidemment s'explique sans peine, par le fait que Freud persistait à regarder l’inconscient humain comme un dépôt de sédiments psychiques d’ordre exclusivement personnel et intime ou encore comme « un système personnel clos »,  pendant que Jung en percevait la réalité beaucoup plus vaste, profonde, collective, historique voire universelle.


Différence de niveau

- Une pensée parallèle


La pensée imaginative de Jung ou encore la pensée non dirigée est une pensée destinée non pas à connaître le monde et à s’adapter à lui mais à se connaître soi. Ce mode de connaissance, au fil des siècles et avec le développement de la conscience a connu deux fonctionnements ; le premier sur la ligne du temps a permis à l’âme - la réalité vivante et instinctive humaine - de se projeter sous l’aspect d’esprits et d’autres figures animées ou inanimées sur les éléments de la nature. Les produits et images de l’âme n’ont cessé de se complexifier et de s’agréger aux états affectifs divers. Lorsque l’homme devenu capable d’introspection et donc de nommer les composantes de son être, est advenu un deuxième mode de connaissance ; celui où l’âme devint une réalité vivante, non plus à l’extérieur mais à l’intérieur de soi. En d'autres mots, la connaissance de l’âme ou de soi a glissé progressivement d’une observation externe vers une observation interne.

La pensée non dirigée, dont nous avons vu les deux formes d'expression, l’une primitive et l’autre datant de l’époque des Lumières, à priori réclame peu d’effort, en ce sens où cette pensée survient quand le cerveau est en récréation et donc quand la pensée consciente disparaît (voir mon billet précédent). Avec la poussée de l’esprit, la pensée dirigée consciente et scientifique n’a cessé de se développer, reléguant plus ou moins dans l’inconscient la pensée imaginative. Pour autant, la pensée autonome imaginative et magique ne s’est pas éclipsée ; nous continuons à la voir exercer sa pleine activité par exemple dans les rêves, les fantaisies, les symboles, les grands mythes etc. Lorsque l'intensité de l’une augmente, celle de l’autre s'affaiblie et vice versa ; ainsi  les deux pensées fonctionnent toujours en mode stéréo. 

- Une pensée consécutive

Freud, dans Totem et Tabou (1913) compare la pensée de l’enfant et du névrosé obsessionnel à la pensée magique. La pensée magique a été qualifiée de prélogique par l’anthropologue Levy Brühl. L’état d’esprit prélogique est la fille de la pensée consciente dirigée et logique. Elle a précédé l’état religieux, lui même ayant  précédé l’état scientifique qui est le stade ouvrant sur la structure finale de la pensée, toujours  selon Freud. La forme prélogique de la pensée appartient à la conception du monde animiste. Dans cette conception primitive, l’esprit humain soumet le monde en utilisant la technique de la magie ; les procédés magiques servant à rendre le monde apaisant, conciliant, favorable et obéissant à la volonté personnelle.

Différence de nature

- L’action des archétypes

La pensée non dirigée fonctionne à partir des archétypes et des instincts présents dans l’inconscient collectif. C’est son fondement archétypique et instinctif qui confère à la pensée imaginative une existence autonome, un caractère vivant, spontanée. Cette pensée est une pensée produite par la libido, puisque je rappelle que l’énergie de l’archétype est la libido. D’où sont caractère fascinant, agissant, numineux exercée par l’énergie. Un instinct, une impulsion, quelque chose qui fonctionne tout seul, voilà sur quoi repose la pensée non dirigée. Pour bien comprendre celle-ci, il faut admettre comme Jung (1964) que la psyché n’est pas vide ; « La psyché est plus que la conscience ». De même que « la conscience n’est que la conscience du moi ». Il n’y a qu’à voir les animaux ; « les animaux qui semblent n’avoir aucune conscience, mais la présence en eux de pulsions et de réactions dénotent la présence d’une psyché. De même que les primitifs font beaucoup de choses sans en connaître la signification ».

- La volonté de puissance

Pour Freud les motifs qui poussent à l’exercice de la magie sont les désirs humains. « Nous devons seulement admettre que l’homme à une confiance démesuré dans la puissance de ses désirs. Au fond, tout ce qu’il cherche par des moyens magiques, ne doit arriver que parce qu’il le veut ». Ce qui fait dire à Freud encore «  les choses s’effacent devant leurs représentations » ; Selon Freud, la technique du mode de pensée animiste est « la toute puissance des idées ». Qui est aussi la même toute puissance des lois psychiques que Freud a constaté dans la névrose obsessionnelle. Comme le primitif, ainsi que chez l’enfant, le névrosé attribue une intense valeur à ce qui est pensé plus qu’à ce qui est vécu. Cette prévalence de la pensée sur les choses conduit à une déformation de l’image du monde objectif.


Différence de buts

- Inspirer, orienter, rassurer, accompagner…

La pensée imaginative peut servir à nous guider, nous informer, nous éduquer, tout comme le ferait un rêve. De plus comme le dit Jung (1964), les mythes et leur caractère religieux à fortiori, peuvent être interpréter comme une sorte de thérapeutique mentale, dirigée contre les souffrances et les sujets d’inquiétude qui affligent l’humanité : la faim, la guerre, les maladies, la mort. La production par les instincts d’histoires ou de mythes sert généralement à rassurer les primitifs. Jung cite d’ailleurs fréquemment le mythe du héros, ce dernier se réfère à un homme tout puissant qui triomphe du mal incarné par des dragons, monstres, démons et parvenant à libérer, in fine, son peuple de la destruction et de la mort. Le succès contemporain des héros Marvel illustre parfaitement la récurrence du besoin humain archaïque d’être rassuré.

Ainsi, les mythes ont comme fonction d’apporter un soulagement et une réponse aux peurs les plus profondes de l’humanité. Ils inspirent comme le dit Jung et donne le ton à une société entière. Jung cite l’exemple du christianisme.
Notre monde d’aujourd’hui n’est-il pas à la recherche d’un nouveau mythe ? Ou en terme économique, d’un nouveau paradigme de développement ? Croire que l’Etat et la science sont les seuls à pouvoir décider du sort des hommes et des sociétés est un leurre total, je pense. Le retard que connaissent les sociétés modernes à acquérir maturité et sagesse vient sans doute d’un mésusage de la pensée imaginative, soit une pensée charriant beaucoup d’énergie restée hélas trop longtemps sous développée, et donc inconsciente ; de sorte que nous ne faisons que subir ses nombreux avatars à plus ou moins grande échelle  : archaïsme, extrémisme, terrorisme, violence, retour de la barbarie. Jung disait, "c’est toujours un mythe qui fait suivre le monde dans telle ou telle direction". Qu’en est-il de notre mythe contemporain ?

- Transformer le monde

La pensée magique et infantile sert à transformer le monde. Le monde animiste apparaît au yeux de l’homme primitif peuplé d’être bienveillants (les esprits) et malveillants (les démons). Tout cela montre bien que dans l'esprit de l' homme primitif, les lois de sa propre pensée ont remplacé les lois naturelles. 
L’enfant, quant à lui remplace les choses absentes - à commencer par le sein maternel - par des représentations.
Et chez le névrosé, sa pensée étant retournée au stade du narcissisme, un stade où l’énergie est fortement sexualisée, reprend de fait, contact avec la toute puissance primitive des idées.
Les primitifs, l’enfant, et le névrosé, sont persuadés de pouvoir transformer les choses extérieures par la force des idées. La déformation du monde par les idées évite à la pensée primitive, infantile et pathologique d’être confrontée au problème de la mort, de la frustration, de l’impuissance, et de la petitesse humaine. Selon Freud (1913), "c’est seulement lorsque la pensée de l’enfant et de l’humanité ont atteint la phase de développement scientifique qu’il n’y a plus de place pour la toute puissance de l’homme qui a reconnu enfin sa petitesse et s’est résigné à la mort". En clair, en accédant au stade de la pensée dite scientifique l'homme accepte de se soumettre au principe de réalité. 



Concluons

De toute évidence, nous sommes conduits à constater que Freud, comme à son habitude, s’est laissé fortement influencer par son propre modèle théorique du développement de la personnalité. Ne voyant dans la mentalité primitive et magique qu’un mode de pensée inférieure et pathologique. Pensée qui subsisterait conservée en fond résiduel dans les superstitions. De plus, il manque, comme de coutume, chez Freud,  le traitement de tout l’aspect collectif et spirituel de la psyché. Il m’a semblé par exemple que Freud s’arrêtait là où cela devenait intéressant ; à propos des mythes, n’écrit-il pas : « il est évident que le mythe repose sur des éléments animistes, mais les détails des rapports existant entre le mythe et l’animisme n’ont pas été élucidés dans leur points essentiels ».  


Une autre question surgit lorsque l'on est jungien ; le développement de la personnalité prend t-il vraiment fin au stade scientifique ou logique ? 


Enfin, le crédo scientifique prôné par Freud et trahissant les idées dominantes de son temps semble barrer l’accès à la vie d’une pensée proche du type imaginatif, c’est à dire intuitive et vivante. Sans un développement scientifique de la pensée humaine point de salut semble nous chuchoter la voie freudienne. Pourtant, l’effacement de tout caractère subjectif dans tous les champs du savoir scientifique ne me paraît pas offrir un modèle de renoncement exemplaire à la volonté de puissance. Jung (1950) notait déjà : « Ce serait présomptions ridicules et injustifiées que de prétendre que nous avons plus d’énergie ou d’intelligence que les anciens : la matière de notre savoir s’est accrue, l’intelligence nullement. Aussi somme nous en présence d’idées nouvelles, aussi bornés que les hommes des périodes les plus obscures de l’antiquité. Nous nous sommes enrichis en savoir, pas en sagesse ». 


En clair, on ne peut confondre les deux pensées pré logique/scientifique et pensée imaginative ; et surtout pas qualifier la pensée imaginative d'infantile ou de pathologique. Certes, elle a connu son enfance au cours de laquelle l'observation de soi se faisait à l'extérieur et sans conscience, mais son activité n'a jamais cessé et ne cessera jamais car elle représente la Vie et son besoin de spiritualité. La poussée de l'esprit rationnel et logique a dû évidemment se frayer à grand-peine un passage dans la Vie, autrement dit trouver un peu de vide pour exister, s'exprimer et se développer. La réussite de cette percée est attestée par les progrès considérables réalisés dans le domaine de la culture et de de l'éducation. Toutefois, parachever l'oeuvre du devenir humain ne consisterait-il pas à voir marcher main dans la main pensée logique, pensée imaginative ?


Freud, S. (1913). Totem et Tabou. Payot.
Jung, CG. (1950). Métamorphose de l'âme et ses symboles. Le livre de Poche.
Jung, CG, (1964). L'homme et ses symboles. Robert Lafont



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