28 décembre 2014

Femme : complétude imparfaite au royaume des cieux



La psychologie analytique se soucie de la question de dénicher les vestiges du passé de l’humanité : images, mythes et symboles communs à toute l’espèce humaine. Vestiges nus et universels ayant façonnés graduellement et continuant de façonner ce qui tend à rendre notre monde civilisé et évolué.


En quoi ces objets historiques reçus par transmission héréditaire, possibilités et potentialités innées, peuvent-ils nous aider ? 


N’est-ce-pas le privilège de la psychogénéalogie par exemple, de nous conduire à découvrir l’histoire et la vie des ancêtres ? Eh bien la psychologie analytique opère dans l’analyse, le passage du transgénérationnel au spirituel conduisant par là, à partir à la découverte « de luminosités et numinosités » à l’œuvre dans la psyché individuelle.

Comme le dit M.L. von Franz, « un archétype constellé dans l’inconscient d’un individu transmet des idées spontanées, des images, des connaissances, des inspirations, une connaissance intuitive des choses » qui témoignent d’une forme d’intelligence tout à fait différente de celle de la conscience du moi.

Et Silvia Di Lorenza de poursuivre : « La femme semble participer nettement plus que l’homme de cette relativité naturelle de l’inconscient et de la conscience. Elle est beaucoup plus capable que l’homme d’accepter et de comprendre le relatif qui inclut aussi l’autre partie, contrairement à l’absolu, qui exclut rigidement de soi tout ce qui y est étranger, comme incompatible. La conscience patriarcale s’est élevée à une suffisance du « moi » qui lui a conféré un pouvoir apparemment absolu sur l’inconscient et une suprématie incontestable sur le féminin et les forces de la nature.

La femme se trouve de fait beaucoup plus liée à l’inconscient ainsi qu’à la notion de complétude. Une notion opposée, certes, à l’idéal de perfection masculine. La notion de complétude tend d’ailleurs à rendre la psychologie de la femme dans sa dimension existentielle et essentielle fort complexe ainsi que fortement chargée en réactions multiples aussi imprévisibles qu’imparfaites.  

La femme préfère les ensembles et comme le dit Sylvia Di Lorenza  «La modalité lunaire de la conscience féminine » dont le rayonnement ne laisse rien échappé, ne cache pas le ciel étoilé ». La lune brille la nuit sans priver pour autant les autres astres dans le ciel de briller aussi.

La psyché obscure, d’ailleurs, comme un ciel nocturne constellé d’étoiles, en tant que représentant des archétypes dans toute leur luminosité et numinosité était  autrefois personnifiée  chez les Egyptiens par une divinité féminine,  la Déesse Nout. La femme et l’inconscient ont ainsi des propriétés analogues.

Ce qui rend en fait, et c’est là que je souhaitais en venir, une femme complexe, notamment pour un homme, n’est-ce pas sa connexion originelle, essentielle et satellitaire à l’inconscient ?  De plus, la femme n’a pas d’autre choix, si elle veut développer une conscience d’elle même claire et libre, que d’aller regarder (sans s'y perdre) dans l’inconscient ses nombreuses luminosités et tenter ainsi d’en extraire sa puissante vitalité créatrice qui fait d’elle une femme essentielle et accomplie. 

25 novembre 2014

La femme et son ombre - Silvia Di Lorenzo -


"La femme et son ombre" est un ouvrage bien vivant qui éclaire d’un point de vue jungien le statut actuel de la femme. Qu’est-ce que la femme ? Qu’est-ce que le féminin ? Quels sont les rapports de l’animus et du féminisme ? Et qu’en est-il du moi féminin dans le prise d’indépendance actuelle ?

Voici la courte préface du livre, rédigée par  Marie-Louise von Franz :

« En 1959, dans le film Hiroshima mon amour, le conflit de l’Histoire est ainsi formulé : ou ce sont les amants qui se rencontrent, ou c’est la bombe atomique qui explose. Cela est vrai dans un sens psychologique ; notre siècle manque surtout d’Eros. Pas dans un sens superficiel, mais dans le sens que nous ne pouvons pas aimer et supporter l’autre tel qu’il est : notre complexe de pouvoir veut toujours le changer. Les tensions sont devenues énormes, surtout entre la femme et l’homme.
La relation de sexes à toujours été réglée par des normes sociologiques, différentes formes de mariage, etc. Aujourd’hui, pour la première fois, nous nous rencontrons « libres » et nous ne découvrons pas seulement de l’amour, mais aussi beaucoup de tensions et d’hostilité. En exposant le problème de l’Animus et de l’Anima, mon amie et collègue Silvia Di Lorenzo apporte une contribution approfondie et très utile à ce problème si urgent. Elle ne fait pas seulement de la théorie, tout ce qu’elle écrit est vécu. la question femme-homme est bien souvent d’actualité, mais on reste la plupart du temps on reste à la surface, sans se soucier d’éclairer le fond. Jadis, ce fond était le domaine des dieux et des démons. Nous savons maintenant que ces dieux et ces démons se trouvent en nous-mêmes. Tout grand amour franchit les limites de ce domaine, et le livre de Silvia Di Lorenzo nous offre un guide qui peut nous aider à ne pas nous y perdre.
L’auteur s’attache surtout au problème de la femme aujourd’hui, qui , si elle trouve dans le féminisme, et grâce à lui, une nouvelle liberté, rencontre aussi encore plus de difficultés et de conflits. Je crois que beaucoup de femmes savent que c’est à elles de trouver une nouvelle forme d’Eros, et que celle-ci pourrait même être une des solutions inattendues à nos grands problèmes actuels, qui ne sont discutés et combattus que par le pouvoir et la brutalité »

L’Eros dont il est question dans ce livre, est l’Eros en tant que rapport personnel, ou principe de relation correspondant au fait de donner de l'amour. C’est le champ des relations d’affection et d’amour.

Après avoir lu ce livre, je me suis souvenue de cette phrase de Jung « l’Eros inconscient s’exprime toujours sous forme de puissance". Cette phrase se fonde sur le fait que "là où l’amour n’est pas, s’installe à la place du vide, la puissance... »

Enfin, ce livre est agrémenté d’un petit glossaire très pédagogique qui donne l’explication des principaux termes jungiens.

21 juillet 2014

Finalité et chemin des métamorphoses de la libido


Dans le rite agraire du clan australien[1] visant à reproduire la scène du hiérogamos avec la terre, Jung a montré avec évidence, le passage de l’utilisation de la libido du mode sexuel au mode nutritif. Ce déplacement de libido, c’est la formation inconsciente de symbole – ici le trou – qui l’a rendu possible. Il me reste à expliquer pourquoi l’inconscient se met à produire des symboles.

Le symbole est une création de l’inconscient qui permet de produire à la place d’un objet réel, matériel, un objet symbolique. Autrement dit et en simplifiant beaucoup, un objet qui rassemble[2]  les choses de l’esprit et les choses de la nature. Dans le rite fécondateur, le transfert de la libido libre présente dans la tendance sexuelle vers un nouvel objet symbolique extérieur, ici, le sol nourricier a permis de générer de l’énergie. De fait, le clan qui a creusé un trou dans le sol, finit par accorder à ce trou un grand pouvoir magique : pouvoir du mana, pouvoir de l’énergie psychique chargée d’effet divin... Ce mana s’il se transformait en idée permettrait d’accoucher d’une prise de conscience. En raison de son état mental le primitif essayait, en fait, durant cette sorte de hiéogamos avec la terre, d’obtenir modestement de l’énergie magique récupérée, une bonne récolte céréalière. La magie pouvait venir ainsi supplier l’absence de volonté consciente qui caractérise tant la psyché humaine primitive d’un temps aussi reculé ! 

Comme le souligne Jung, l’âme primitive est religieuse, la pensée imaginative[3] caractérise son état d’esprit, et elle est naturellement paresseuse. La quantité d’énergie importante libérée pendant ces rites magiques, néanmoins, pouvait l’aider à s’arracher à la torpeur accablante qui recouvrait son cerveau par manque d’éveil, et à parvenir à le conduire à produire un travail agricole. De plus, comme on peut s’en douter, les puissances surnaturelles : instincts, affects, superstitions, imaginations, magiciens, esprits, démons, dieux nous dit Jung encore, dominent sa vie. Tout ce monde étrange et mystérieux  logé dans sa tête est source d’angoisse et d’inquiétude profonde ; le peril of soul, selon Jung, car l’inconscient collectif fait peur. « L’état naturel n’est vraiment pas la panacée ». L’homme primitif fut libéré de ses angoisses précisément, peu à peu par la formation des symboles. Aujourd'hui, le péril of soul réapparait lorsque par exemple les digues du moi conscient deviennent fragiles ou sautent ; l’inconscient collectif peut alors venir inonder les terres du moi,  et ébranler fortement sa résidence principale,  étant donné que les puissances psychiques, hélas très faiblement différenciées chez l’homme moderne, peuplent encore en grand nombre son autre maison !

Ainsi Dieu merci, une fonction symbolique existe dans l’inconscient, pour faire reculer la barbarie. La plus grosse machine à produire des symboles, c’est la civilisation écrit souvent Jung ; d’ailleurs, ce dernier revient fréquemment sur le début de notre ère, une  période au cours de laquelle les symboles, images et visions du culte de Mithra et du culte chrétien ont permis de stopper le déferlement des instincts archaïques. Les symboles produits à cette époque ont permis, telle une machine à transformer l’énergie de faire monter l’utilisation de l’énergie vers une activité plus noble et plus haute.

Revenons à notre point de départ,  dans les rites d’analogie, tel celui du clan australien cité plus haut, on constate que la libido ne s’est pas simplement déplacée ; elle a aussi régressé, c’est a dire qu’elle s’est tournée vers l’arrière, vers une phase plus ancienne de son utilisation. Elle s’est transformée par analogie mais également par régression du domaine sexuel vers le domaine nutritif. C’est l’occasion d’introduire ici une notion essentielle de la psychologique analytique jungienne, celle du processus de régression. Je  ne ferai que l’esquisser ici tant ce sujet est vaste et complexe.   
La régression pour Jung n’est pas un phénomène pathologique mais une métamorphose de la libido. Elle correspond au reflux de la libido par régression dans des zones psychiques profondes et anciennes. Elle survient lorsqu’un instinct subit une restriction, ou lorsque par exemple il est privé d’objet. Pour ce qui concerne le clan australien, Jung nous dit que c’est l’angoisse liée d’une part au monde intérieur terrifiant et envahissant et d’autre part aux nombreux dangers de la vie dans la brousse qui aurait provoqué une régression et transformation de la libido chez les êtres primitifs.

Le processus de régression est une dynamique thérapeutique majeure dans la psychanalyse jungienne. Dans la pratique clinique, elle peut jeter un éclairage fort utile sur l’origine des maladies et des troubles psychiques. A la base, la libido souhaite s’écouler toujours vers l’extérieur,  c’est ce qui s’appelle en psychologie, l’adaptation à la vie et Jung l’a nommée la progression ou la marche en avant de l’activité mentale. En fait les choses peuvent se gâter lorsque la libido stagne et s’accumule dans le moi car alors elle finit tôt ou tard par reculer et réveiller par exemple d’anciens rapports familiaux. Freud a décrit la peur de l’inceste comme facteur causal des névroses, non sans raison.

Enfin, la particularité de l’analyse jungienne tient à l’existence du processus de la régression de la libido car le reflux de la libido par régression peut aussi mener à une transformation profonde de l’être (le processus d’individuation), dans le sens où quand la libido recule elle peut aussi déterrer des pépites rares. Constatant du reste,  que l’inconscient est capable d’aider les hommes des temps anciens en inventant des symboles, alors que ceux-ci ne possédaient aucune volonté consciente individuelle, prouve avec éclat qu’à côté de la sphère instinctive naturelle il existe aussi à l’intérieur de chaque être individuel, comme l’indique Jung, une sphère spirituelle animée par l’esprit humain ; un esprit sans doute « désirant se connaître », et capable de porter au moment opportun (c’est souvent après 40 ans) l’homme vers un élargissement et une transcendance de son activité culturelle. D’ailleurs, sa manifestation concrète est constamment visible dans les rêves.

Sur la base de ses données, Jung se différencie nettement de son ancien maître, Freud ; ce dernier voyait dans la régression avant tout une fixation à des instincts infantiles, et aucunement une possibilité de transformation de l’être en profondeur (l’individuation), ni même une tentative de réparation créative thérapeutique de l'inconscient. De plus, Feud faisait remonter l’origine de la civilisation à la peur du chef mâle. Poursuivant sa ligne de pensée,  Freud postulait également que l’esprit ne pouvait advenir que par l’éducation et donc par la restriction extérieure de l’instinct, principalement sexuel ; ce qui revient en clair à réduire l’esprit humain à n’être « qu’une mascotte de la sexualité ». Or, pour Jung la sagesse peut et doit aussi naître du développement individuel dans son entier, passant de fait par l’union du couple instinct/esprit existant en germe dans la vie psychique dés la naissance et qui se révèle peu à peu par la formation de symboles.



[1] Voir mon billet précédent
[2] Le mot symbole est issu du grec ancien sumbolon qui signifie "mettre ensemble".
[3] Voir mon billet « Des motifs et des raisons de la pensée primitives"

05 mai 2014

Les possibilités de métamorphose de la libido


La libido, forte intensité instinctive indistincte, impossible à caser dans une fonction, peut venir occuper un domaine ou une activité instinctive variée mais ne peut y rester bloquée. Car ses possibilités de renouvellement sont perpétuelles et marquées par une haute intensité. Ce trait essentiel distingue la libido transformable des instincts classiques. C’est pourquoi Jung parle, toujours à propos de la libido transformable, d’excèdent de libido. Et utilise dans son livre, l’Energétique psychique, la métaphore éclairante de la chute d’eau. 

Les fonctions instinctives organisées et fixes ressemblent aux chutes d’eau qui dévalent la pente naturelle, en suivant ainsi leur propre loi. Mais quand la chute d’eau est trop forte, (l’excédent de libido susceptible de se déplacer-transformer), la conduite des sections (les instincts) devient alors trop faible. L’eau déborde.  Seule, une usine transformatrice (le symbole machine à transformer la libido) peut offrir une dérivation favorable à l’eau en excédent. 

Dans la nature psychique l’intensité de cette libido transformable donne lieu, par exemple, à la naissance d’idées religieuses inexplicables, ou de fantaisies imaginaires Et prouve dans un sens,  que la libido peut passer d’une forme à une autre grâce au symbole.

Jung cite comme exemple de déplacement de la libido par le symbole, la cérémonie du clan australien  des Watschandies. Ce rite primitif lui sert à montrer comment le symbole peut faire passer la libido vers une forme d’activité autre moins primitive.  

« Les Watschandies, comme l’écrit Jung, exécutent au printemps un sortilège fécondateur ; ils creusent dans le sol un trou fait et entouré de buissons de manière à imiter un sexe féminin. Autour de ce trou, ils dansent toute la nuit tenant leurs lances devant eux, dressées comme pour rappeler un pénis en érection. Ils dansent autour de ce trou dans lequel ils frappent avec leurs lances en même temps qu’ils crient. De telles danses obscènes ont lieu aussi dans d’autres clans ».

Cet acte rituel ne montre pas, comme tendrait à le supposer les conceptions de Freud, un remplacement de l’acte sexuel. Il montre un changement de forme dans l’utilisation de la libido sexuelle. Il existe, certes une analogie évidente entre la fonction sexuelle et le creusement de la terre, mais comme le dit Jung, ce n’est pas parce qu’il existe une analogie avec la sexualité que l’énergie en question découle nécessairement de la vie sexuelle.

Le rite utilise en fait l’idée invariable du héorogamos sexuel (le mariage sacré), qui est un modèle général très utilisé dans de nombreux rites. La production du feu par le creusement de la terre, comme le souligne Jung dans son livre,  « les Métamophoses » dérive sans doute aussi du modèle du hiérogamos sexuel. Car dans le creusement du feu, l'union de deux êtres humains est remplacées par  deux simulacres : soit deux morceaux de bois. L’activité change mais pas le modèle général.

Dans le rite australien, la création de symbole, c’est le trou qui vient en remplacement du sexe de la femme. L’acte sexuel et son objet réel, le sexe de la femme sont remplacés  grâce à un objet symbolique (le trou) par un acte utile (le labourage de la terre).

Au final, le but du cérémonial n’est nullement sexuel mais magique. Car en simulant le hiérogamos avec la terre, cela permettait de libérer beaucoup d’énergie libre, autrement dit des forces émotionnelles puissantes qui aux yeux du clan opéreraient sur la production des cultures un effet favorable magique.  Jung résume le but de ce cérémonial ainsi « Ils tentaient ainsi de récupérer l’effet magique du hiérogamos sexuel, la partie magique de la libido pour obtenir une bonne moisson ».


22 mars 2014

La magie d'Isis

Ce nouveau billet aborde le thème évocateur du pouvoir magique de la déesse Isis qui, au point de vue psychologique, met remarquablement bien en lumière un processus psychique évolutif plus ou moins actif et présent dans les profondeurs de l’inconscient que Jung à nommé l’individuation.

J’ai puisé, en partie, mon inspiration dans le livre de M.L.von Franz, Interprétation du conte d’Apulée : l’âne d’or, dans lequel Marie Louise consacre un chapitre à Isis. L’âne d’or, roman philosophique du II siècle après JC,  conte l’histoire du cheminement vers l’unité d’un jeune homme, Lucius qui fut d’abord métamorphosé en âne, animal haï d’Isis, et qui plus tard, grâce à l’intervention de la même Isis, expérimenta le salut de la souffrance et le retour à sa forme humaine.  

Isis, dans la mythologie égyptienne, était une déesse vénérée au suprême degré. On la priait comme une Déesse mère, génératrice du monde, des êtres et des formes. Elle représentait les terres fécondes d’Egypte ensemencées chaque année par les eaux d’opulence des crues du Nil  (Osiris). Reine et ambassadrice des naissances elle possédait le pouvoir magique de redonner la vie.

Voici un court récit destiné à ceux qui ne connaissent pas trop le mythe d’Isis et d’Osiris.  Selon la légende, lors d’une fête annuelle, Seth, jaloux de son frère, Osiris, le roi d’Egypte, offrit à ce dernier un coffre splendide destiné à celui qui pourrait s’y allonger parfaitement dedans. En fait, Seth, avait fabriqué en secret la caisse aux mesures exactes de son frère Osiris. Une fois qu’Osiris fut installé dedans, Seth scella prestement le coffre de plomb et le jeta dans le Nil. Isis l’épouse d’Osiris, plongée dans une immense douleur partie de suite à sa recherche. Elle retrouva le corps mort de son époux, et le ramena en Egypte. Mais Seth souhaitant en terminer à tout jamais avec le corps de son frère, récupéra son cadavre et le découpa en quatorze morceaux qu’il dispersa à travers le pays. La déesse Isis se mit alors en quête de chaque morceau, et sans se découragée, trouva treize morceaux qu’elle rassembla pour pouvoir reconstituer le corps d’Osiris. Isis parvint ainsi, grâce à son charme et à sa magie, à ramener à la vie son bien aimé.  Et pour finir, en s’unissant avec le cadavre de son époux Osiris magiquement ranimé, elle lui donna un fils posthume, Horus.  

Cette déesse très puissante et magicienne rappelle et souligne la présence et l’intervention constructive et curative de l’éternel féminin dans tout processus de transformation impliquant l’inconscient. Ce féminin profond est nommé par Jung, l’anima. Isis, figure mythologique d’essence féminine, ne synthétise t-elle pas, l’ensemble des qualités des autres déesses des deux panthéons, grec et romain ?  Sa très grande puissance agit, et sert de guide dans l’inconscient pour la réalisation de la totalité individuelle. Elle est comparable par exemple, à la marraine fée qui se penche sur le berceau du nouveau-né en garante de l’avenir de son étoile intérieure, de sa nature spirituelle, de la route de son chemin individuelle.
     
Son défunt époux, Osiris, symbole de l’ancien roi, Isis va le chercher sans relâche : Osiris agit comme une image intérieure qui ne vous lâche pas. Cette recherche, volonté unifiée et cachée d’Isis, ressemble, au plan psychologique au désir inconscient d’entamer une conversation avec son inconscient là où demeure le Soi, la clarté, l’éveil conscient (Osiris meurt et renaît dans son enfant, Horus). C’est par l’expérience vécue du vouloir savoir ou connaître, qui peut prendre de multitudes formes, que s’exprime la volonté unificatrice d’Isis.

Isis semble nous parler du féminin réconciliée, mais avant la réalisation de cette unité d’essence féminine, qui agit telle une délivrance -  Lucius, par exemple,  à la fin du roman dans l’âne d’or, retrouve sa forme humaine - Isis n’hésite pas avant à se montrer terrible et destructrice si cela doit servir à  la réalisation de la personnalité individuelle. N’a t-elle pas fait endurer d’épouvantables tribulations à Lucius ? Isis prépare au devenir de l’individualité, même s’il y a un prix lourd et cher à payer ; sa volonté d’accueillir toute la personne domine, l’emporte et favorise l’avancée du processus d’individuation, même si cela doit inclure l’intégration de puissances amorales, irrespectueuses... Une dominante accueillante, dirons nous si nous transposons cela dans le domaine de la pratique clinique, dans l’attitude humaine que confèrent le sentiment et l’amour, et que le thérapeute doit incarner naturellement en attendant que son patient trouve par lui même sa propre Isis intérieure. 

Il semblerait donc,  comme le dit Marie-Louise von Franz,  que les égyptiens aient projeté de très bonne heure sur leurs dieux le processus d’individuation, notamment sur la première Trinité portée, grâce au mythe, à notre connaissance : Isis, Osiris et Horus.

Isis, ou la poussée vers l’individuation dans l’inconscient, représente une tendance accueillante, aimante, bienveillante et nécessaire à la formation progressive d’une unité consciente (le Soi). Et nous pouvons en voir de nombreuses manifestations "métamorphosées" dans certains états inconscients de souffrance, de plainte, de dépression.. 

La venue consciente du Soi ou l'individuation n’est pas une génération spontanée ou une manne divine.  C’est un processus qui existe de manière inconsciente au départ et qui réclame dans bien des cas des transformations longues, pénibles, douloureuses, incomprises mais combien inattendues également au final. 

Lorsqu’une mise en contact consciente avec Isis en soi s’établit, alors le robinet des merveilles et de la sagesse (Sophia) commence à s’ouvrir. Le sens dévoilé de l’action d’Isis nous apparaît par exemple très clairement dans les rêves. Peu avant sa délivrance, Lucius ne reçoit-il pas les instructions de la déesse pour son initiation en rêve ? 

Enfin, la déesse Isis continue d’exister dans le monde extérieur actuel, sous les traits de la vierge Marie. Marie pleine de grâce et de sagesse (de l’inconscient).  Notre sainte Marie existait à l’état voilé, à l’époque de l’antiquité. La signification chrétienne de la vierge Marie accentue davantage l’aspect "vierge" du féminin. Vierge pour signifier l'espace vide pour pouvoir accueillir la sagesse divine mais seulement aprés avoir transformé les puissances instinctives : là étaient le sens des mystères isiaques. Les cérémonies et les rituelles servaient, de plus, à montrer aux hommes que les dieux n’étaient pas des puissances intemporelles, mais des dieux vivants à l’intérieur d’eux ;  en langage jungien, nous dirions, des réalités psychiques.  

Isis, mère salvatrice, magicienne destructrice, transposée sur le plan psychologique, elle est donc tout le féminin qui prépare et favorise la venue consciente de tout l’être psychologique (ou la réalisation du Soi en terme jungien).