29 mars 2013

Psychologie et Philosophie - Conférences Zofingia (1896-1899)




Je voudrais signaler la parution récente d’un ouvrage de C.G.Jung – Psychologie et Philosophie. 
Ce livre contient  cinq conférences données par Jung  à l’âge de 21ans et 23ans, lorsque qu’il était étudiant à l’Université de Bâle. Jung prononça ses conférences dans le cadre de la société Zofingia. Société composée d’étudiants au sein de laquelle survenait régulièrement la tenue de discussions scientifiques. L’intérêt de ces écrits, ainsi que le souligne M.L. von Franz dans la préface, est de "montrer à quel point ses vues de jeunesse concordent avec sa pensée ultérieure et comment il tentera, finalement, tout au long de sa vie, de répondre aux questions qui l’agitaient alors".  
L’on découvre surtout, avec bonheur, un Jung direct et engagé, celui qu’il était avant qu'il ne se présente comme défenseur de Freud, autrement dit avant ses premiers travaux de psychopathologie.

On aperçoit ainsi :

- Son combat précoce contre le matérialisme. En voici un extrait :
"Le point de vue matérialiste et sceptique adopté par l'opinion contemporaine constitue tout simplement la mort de l'intellect. Il nous interdit de dépasser les frontières étroites qu'il impose. Nous condamnant à collecter des données tirés de greniers déjà pleins à ras bord. Nos microscopes se perfectionnent. Nous révélant chaque jour de nouvelles complexités. Nos télescopes se font plus précis. Nous révélant aussi de nouveaux mondes et de nouveaux systèmes. L'énigme pourtant resté entière ; nous gagnons juste en complexité".

- Ses premières intuitions sur l'existence "d'un principe vital, l'âme, qui est intelligente et indépendante de l'espace et du temps."

- Ses pensées naissantes sur l'existence d'une réalité invisible, préfiguration de l'inconscient collectif.
"Il convient également de concevoir la catégorie de la causalité (nom qu’il donne à l’instinct) comme un indice merveilleux et a priori qu’il existe des causes de nature transcendantale, c’est à dire un monde invisible et inconcevable pour nous, une continuation de la nature matérielle dans le royaume de l’incalculable, de l’incommensurable, de l’indéchiffrable".   
Sur la nature spirituelle de l’instinct, il dit encore :
"l’instinct causal…/…est la religion. C’est cet agent infiniment subtil qui libère l’homme de sa nature animale pour l’élever vers la science et la philosophie et le conduire vers l’infini. Et pourtant c’est un instinct".

- L'on reconnaît aisément dans le texte qui suit ce qui deviendra plus tard les archétypes :
"La chose en soi est tout ce qui échappe à notre perception.../ Le monde absolu ne se divise pas en deux royaumes distincts, celui de la chose en soi d'un côté et le monde phénoménal de l'autre. Tout est Un". 

Cela signifie que le principe de la chose en soi forme "une unité multiple". Comme il en va de l'archétype. Remarquons que Jung, sur ce sujet, revisite en profondeur le néoplatonisme.

- Figurent bien entendu, ses idées sur l’existence de forces opposées. Pour M.F von Franz, c’est d'ailleurs la toute première fois où Jung en parle en terme notamment de combat qui sévit dans l’homme entre le monde intérieur et le monde extérieur. Jung illustre l'existence de ce dualisme chez l'être connaissant par un texte de Goethe :
Deux âmes, hélas, se partagent mon sein,
Et chacune d’elles veut se séparer de l’autre :
L’une, ardente d’amour, s'attache au monde
Par le moyen des organes du corps ;
Un mouvement violent entraîne l’autre loin de la poussière,
Vers les hautes demeures de nos aïeux !


Personnellement j’ai trouvé ce livre captivant à lire. Jung apparaît très passionné et inspiré. S’il y a une phrase que je retiendrais de ses écrits de jeunesse, c’est celle-ci :

L’homme est un Prométhée qui dérobe l’éclair dans le ciel pour apporter la lumière dans l’obscurité de la grande énigme. Il sait qu’il existe un sens dans la nature, que le monde recèle un secret qu’il consacrera sa vie à découvrir.

Je trouve qu’elle contient tout ce que Jung a précisément réalisé dans son oeuvre et dans sa vie. C’est réellement une image prémonitoire !

19 mars 2013

Du concept de libido dans Métamorphose de l'âme et ses symboles


Dans son livre, Métamorphose de l'âme et ses symboles, Jung de toute évidence ne se résout pas à penser comme Freud au sujet de la nature toute sexuelle de l’énergie psychique. La rupture déclarée relative à sa divergence de vue avec Freud figure dans son texte "Du concept de libido".  Dans cet écrit, il jette une lumière explicative sur sa propre conception de la libido, posant ce faisant, les bases de la psychologie analytique.


L’inflation conceptuelle de Freud

Regardons en premier lieu sur quoi s’exprime son opposition à la conception de Freud. C’est sur l'évocation des causes possibles de la schizophrénie que porte son désaccord.  Il rappelle les idées nouvelles que développe Freud à propos de l’étude des troubles paranoïdes. Ce dernier se demandait dans une de ses publications si dans la schizophrénie, il fallait incomber à la perte de l’intérêt en général, la disparition de la réalité, ou bien s’il fallait l’incomber à la perte de l’intérêt érotique. Finalement Freud a choisi d’incomber la perte du réel à la libido seule. En clair, pour Freud, le schizophrène a perdu tout contact avec le monde extérieur parce que sa libido a disparu, c’est-à-dire qu’elle s’est retirée dans le moi. Pour Jung, il ne peut pas en être ainsi. En ce sens où  "la libido ne peut pas expliquer toute la perte de relation avec le monde extérieur". Dans une telle éventualité, il faudrait en conclure que toutes nos relations au monde sont marquées par la libido, donc par de l’érotisme. Jung rappelle encore, que la libido ne peut pas être une fonction sexuelle, car si elle l’était alors dans la névrose, l’introversion de la libido déboucherait sur la schizophrénie ; Or dans les faits, ce n’est pas du tout ce que l’on observe : le névrosé ne présente pas de disparition de la fonction du réel.

Pour Jung, dans la schizophrénie, il manque "beaucoup plus que ce que l’on pourrait appliquer aux relations érotiques". Ce qu’il manque "c’est une masse importante de fonctions qui servent à entrer en contact avec le réel". Et qu’en conséquence, les troubles fonctionnels constatés chez le schizophrène touchent tout autant le domaine des autres tendances que celle de la sexualité.


La libido : une conception vitaliste

Sans conteste, Jung refuse de distinguer libido et instinct du moi. Car si nous faisons cela, alors nous serons tenter de voir les choses à la manière  de la biologie qui oppose l’instinct de conservation de l’espèce à celui de conservation de l’individu. C’est d’ailleurs ce que fit Freud dans sa première topique, dans laquelle il opposa la libido et la faim. Or souligne Jung, ce n’est pas du tout ce que l’on observe dans la nature : "dans la nature on n’observe seulement un instinct de vie continu  qui par la conservation de l’individu permet de perpétuer la propagation de toute l’espèce".

La manifestation observable d’un instinct unitaire et continu dans la nature conduit Jung à faire une mise en parallèle de la libido et de la Volonté – de Schopenhauer (1). La volonté, chose en soi pour ce philosophe est absolument différente de son phénomène. Transposons cette idée à la libido : l’appetitus, l’envie, le désir, désignent un phénomène, un observable, un mouvement  vers  la faim, la sexualité, la soif… Toutefois ce qu’il y a au fond de l’appetitus, "nous ne le savons pas", écrit Jung, "Pas plus que nous ne savons pas ce qu’est en elle même la psyché".

Nous pouvons constater que Jung a finalement affiché très tôt son intérêt pour l'irrationnel, un domaine que Freud fuyait comme la peste, mais, il est loin d'être le seul.

Jung propose donc de considérer à égalité toutes les tendances – sexualité, faim, soif…
La libido étant la tendance à l’état naturel ; elle est l’énergie du « tendre vers » des tendances. Sur les instincts humains – dits les tendances d’un point de vue psychique - nous ne pouvons pas en dire grand chose. C’est pourquoi, Jung trouve osé de la part de Freud d’accorder le primat à l’un d’entre eux. Comme les tendances pour Jung sont égales, ce dernier préfère utiliser un concept énergétique, un concept neutre, une valeur énergétique qui peut se communiquer à un domaine quelconque : la sexualité, la faim, la religion, la puissance… Comme le disait Schopenhauer "la volonté ou la chose en soi, est complètement indépendante de toute les formes du phénomène, en lequel cependant elle pénètre".
Et c’est sans doute ce parallélisme psycho-philosophico vitaliste entre  la Volonté et la libido qui a conduit Freud, plus tard Lacan et bien d’autres à qualifier le concept jungien de libido de moniste.

Dans le prochain billet je parlerai des images mythologiques qui représentent l’expression de cette force créatrice indifférenciée en soi.




(1) Le Monde comme volonté et représentation - Schopenhauer