28 septembre 2006

L'inconscient Jungien : une structure par couches


Dans le précédent billet, j'ai présenté brièvement le double découpage catégoriel proposé par Jung lui-même, afférent au vaste domaine des contenus de l'inconscient à savoir – les contenus accessibles et les contenus inaccessibles - En se plaçant dans une approche de ce type, l'on évite ainsi de confiner le champ de la connaissance de l'inconscient au seul domaine des réalités banales et quotidiennes à savoir les lapsus, les fausses perceptions, les oublis momentanés, les processus de dénégation et de refoulement. Il n'est pas question de mettre en doute l'existence de ces désordres et états psychiques involontaires et irrationnels survenant chez les personnes humaines fréquemment - lesquels ont été, du reste, brillamment exposés par Freud dans son célèbre manuel "Psychopathologie de la vie quotidienne [1]"- Il convient simplement d'analyser d'une façon toute particulière les contenus inaccessibles de l'inconscient, en ce sens où ceux-ci recèlent des germes de contenus de nature spirituelle propre à déclencher le processus d'auto guérison tel qu'il a été expliqué à maintes reprises par Jung dans ces textes. Le "miracle" de l'harmonisation des contenus conscients et inconscients s'obtient notamment lorsque nous laissons le processus naturel et spirituel de l'individuation se dérouler en paix. Je reviendrai à cette question dans la suite de mon exposé. Pour l'instant, tournons-nous encore une fois vers le descriptif général des contenus dits inaccessibles de l'inconscient suivant une perspective exclusivement jungienne.

L'inconscient personnel
Les contenus inaccessibles représentent, en fait, ce que Jung a nommé les couches de l'inconscient personnel et celles de l'inconscient collectif.
En simplifiant beaucoup, nous dirons que les couches de l'inconscient personnel concernent le vécu personnel et renferment en particulier tous les éléments psychologiques difficilement appréhendables par le conscient : toutes les tendances infantiles, les fragments du temps passé laissés en jachères, les contenus mentaux désagréables ainsi que tous les complexes habituels [2]. L'inconscient personnel contient pour une bonne partie aussi l'ombre qui figure les côtés sombres du sujet humain ; autrement dit la nature animale qui vit en nous, celle que nous désirons plutôt nier et qui obéit de façon absolue à l'instinct. Il est pour moi absolument hors de doute que nous aurons une nature animale tant que nous posséderons un corps physique. En général, l'ombre, ou le côté négatif de notre nature dans le mental conscient apparaît sous les traits d'un adversaire intérieur de taille, voire la plupart du temps plutôt monstrueux. Un adversaire, quoi qu'il en soit qu'il nous faudra bien un jour faire rentrer pacifiquement dans l'ensemble de notre propre nature si nous voulons être complets. Intégrer notre côté négatif revient, en fait, à instaurer une bonne entente avec nos forces instinctives ; l'instinct n'est jamais négatif en soi. Il réclame, certes, d'être affûté, plutôt beaucoup que pas assez même, mais nous ne devons toutefois jamais perdre de vue que la sphère des instincts et des pulsions est chargée massivement d'énergie ; une énergie dont il serait regrettable de se priver tant les forces qui découlent d'elle sont profitablement réutilisables en terme de volonté et de motivation par le conscient Car quoiqu'en pense notre échelle de valeurs morales, les instincts sont à ranger du côté de la Vie, et de l'âme donc.

L'inconscient collectif, les archétypes et le Soi
Les couches plus profondes et plus archaïques, connues sous le nom de "psyché super-individuelle", ou encore "impersonnelle", Jung les a nommées l'inconscient collectif. C'est la psyché inconsciente commune à toute l'humanité ; Tout comme le corps humain révèle une anatomie commune, par-delà toutes les différences raciales, la psyché possède de son côté au-delà de toutes distinctions culturelles et conscientes, un substrat collectif, nous dit Jung. De plus, nous savons grâce à ce dernier que la psyché collective est la demeure des nombreuses images originelles, lesquelles ont servi depuis les temps les plus anciens notamment à la formation des représentations des Dieux et Déesses, alors même que ceux qui les ont pensées, soit les hommes primitifs, n'avaient jamais rencontré physiquement ces différentes représentations. De nos jours, le flot infini d'images et de formes de l'inconscient collectif émerge toujours à la conscience à l'occasion de rêves ou encore d'états mentaux anormaux.

Dans cet océan d'images, nous dit également Jung, ce sont formés les archétypes, sorte de silhouettes mortes, c'est-à-dire non vécues individuellement ; celles-ci sont semblables à des sédimentations d'expériences vécues. Jung utilise le vocable "sédimentation" ou celui de "précipitation" d'expériences humaines parce que la notion d'archétype amenée, par Jung, renvoie précisément au comportement humain qui se répète depuis des éternités. Les images mythologiques, par exemple, sont les marqueurs du condensé de la moyenne historique – autre expression que Jung utilise pour désigner le contenu de l'inconscient collectif – les plus notablement remarquables. L'inconscient collectif contient, donc, tout notre passé collectif non vécu, mais susceptible de produire des représentations, au sein duquel - et c'est précisément l'aspect de la psychologie jungienne qui m'intéresse le plus - pourra émerger le Soi [3]. Le Soi est exactement parallèle au "devenir ce que l'on est", c'est-à-dire au fait de devenir une pierre du grand édifice que constitue le tout vivant. L’on comprendra alors mieux, d’après ce qui vient d’être dit, pourquoi pour pouvoir devenir soi-même, nous devons aussi veiller à ne pas trop se laisser envahir par nos jérémiades égoïstes et ne pas non plus trop se murer dans le passé et les évènements personnels et/ou familiaux qui n'expriment que la petite partie de la personnalité.

Jung ne cessera de répéter, tout au long de son œuvre, que pour contacter notre soi, il faut plonger dans l'inconscient collectif - ce plongeon symbolique fait référence, bien évidemment, à la confrontation avec l'inconscient -
Dans cette idée, Jung conçoit l'inconscient comme une matrice créatrice d'avenir. Mais cela sous entend aussi que pour pouvoir en quelque sorte re-naître dans un futur indéterminé et à jamais indéterminable, car ici ce sont seules les lois de la Vie qui décident - il faut accepter de se perdre pendant un petit temps au moins, dans la mer parfois très dangereuse des forces irrationnelles et chaotiques – cette idée exprime d'ailleurs le célèbre "retour aux royaumes des mères" souligné par le Docteur Faust dans l'œuvre de Goethe – Le thème de la renaissance symbolique se trouve de même évoqué dans les textes de la Bible, à travers l'image de l'immaculée conception relative à la Vierge Marie. Puisque Jung n'a pas manqué de faire la remarque suivante[4] : La conception virginale signifie qu'un contenu de l'inconscient est né sans la participation naturelle d'un père humain (c'est-à-dire sans la participation du conscient).
Au passage, je signale, que là où la théologie chrétienne échoue à apporter une voie d'explication plausible et sensée aux grandes idées mystérieuses et étranges dont les textes sacrés sont pleins, la psychologie jungienne, unique dans son espèce réussie, je trouve, magistralement. Elle apporte enfin un sens profond et vivant, repérable dans son corps et dans sa psyché, aux différents thèmes et objets solennels présents dans toute croyance religieuse.

Enfin il importe de souligner que dans le Soi, réside notre "noyau divin". C'est pourquoi aussi les images de l'inconscient collectif possèdent une puissante force d'attraction et de fascination. Nous étudierons, bien entendu, cela avec plus de détails dans les prochains petits billets…



Notes
[1]Psychopathologie de la vie quotidienne – Edition petite bibliothèque Payot -
[2]Les complexes habituels de l’individu sont les points sensibles de la psyché contenant notamment des thèmes affectifs refoulés, susceptibles de provoquer des troubles permanents dans notre vie psychique, ou même les symptômes d’une névrose.
[3]Le Soi est l'archétype de la totalité transcendante.
[4]Lire "Métamorphose de l'âme et ses symboles" Edition Buchet/Chastel


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