01 mars 2015

Le motif vrai de la névrose


En réaction à la psychanalyse, de nombreuses thérapies se sont développées depuis les années 60.  L’impératif d’efficacité qu’impose le modèle médical scientifique actuel a promu au plus haut rang les  thérapies comportementales et cognitives (TCC). 

Traitement court, ciblé, formalisé, les thérapies cognitives tentent de corriger les schémas de pensées pathologiques. Tout le contraire d’une psychanalyse qui vise une transformation du patient en profondeur, non dirigée et sur la durée,

Il existe toutefois une différence de taille à l’intérieur même des thérapies inspirées par la psychanalyse. Si la psychanalyse de Freud, cherche à expliquer le présent en questionnant beaucoup le passé (en priorité les fantasmes pervers et infantiles) la psychanalyse jungienne reste, elle, centrée dans l’actuel. En ce sens, elle se trouve plus proche de la démarche cognitive.

Dans son ouvrage La guérison psychologique Jung souligne "le motif vrai de la névrose, c’est dans l’actuel qu’il faut le chercher, la névrose existant et s’épanouissant dans le présent. Elle est entretenue et même en quelque sorte récréée à nouveau".

La névrose sous entend Jung, surfe sur la tension des contraires nécessaire à la vie, laquelle existe et se renouvelle éternellement. Les TCC ont très bien identifié ce processus répétitif dans la cognition que restituent  les symptômes jadis qualifiés de névrotiques (dépression, anxiété, obsessions). Là s’arrête la comparaison ; car la vision jungienne appréhende les symptômes de la névrose non comme une répétition vide de sens pour le Moi, mais comme une possibilité de guérison, ou de faire entrer la partie de notre personnalité emprisonnée, interdite, honteuse, voire parfois dissociée.

"Ce que le malade doit apprendre, écrit Jung, ce n’est pas comment on se débarrasse d’une névrose mais comment on l’assume et la supporte. Car la maladie n’est pas un fardeau superflu et vide de sens, elle est nous-mêmes en tant qu’ "autre" qu’on cherche à évincer par exemple par des désirs infantiles de commodité, ou par peur ou par tout autre motif. De la sorte, on fait du « Moi" comme Freud dit excellemment "un antre de peur"qu’il ne serait jamais devenu si l’on ne se défendait pas névrotiquement contre soi- même. 

Lorsque le moi est un "antre de peur" c’est que l’individu s’enfuit devant lui même sans en rien vouloir connaître. La technique corrosive de la psychanalyse (freudienne) qui déprécie et lacère la fibre humaine s’attaque en premier lieu à cet autre aspect de notre personnalité, que nous portons en nous et que nous craignons ; elle espère paralyser de façon durable cet adversaire. On ne doit pas chercher à annihiler une névrose ; on doit s’efforcer d’apprendre ce à quoi elle vise, ce qu’elle enseigne, sa signification et son but. Il faut même apprendre à lui être reconnaissant, sinon l’essentiel échappe et l’on a manqué l’occasion de connaître ce qu’on est en réalité. Une névrose n’est réellement réduite que lorsque l’évolution thérapeutique a liquidé la fausse attitude du moi. Ce n’est pas la névrose qu’il s’agit de guérir, celle elle qui nous guérit. Lorsque l’homme est malade, la maladie représente la tentative de la nature de le guérir".

Peut être que nous les thérapeutes, devrions-nous plus souvent interroger la présence de fantaisies, imaginations et troubles divers, les tenir comme représentants et témoins de ce que le Moi désire fuir, fuir du Soi ou de sa totalité. Il est plus facile et rapide, certes, de chercher à appliquer une technique pour résoudre un problème, diminuer des symptômes. Mais n’est-ce pas entretenir également la fuite en avant chez les patients ? De plus, une technique ne pourra jamais remplacer la personnalité du thérapeute, capable en grande partie, de mettre en ordre ce qui doit l’être chez les patients quand le thérapeute lui même est déjà mis en ordre. 

7 commentaires:

  1. Merci pour ce rappel, important !

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  2. Il y a beaucoup de nourritures à trouver dans la guérison psychologique de Jung. Merci.

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  3. Ces réflexions fort pertinentes me rappellent les mots de Jung raccompagnant Robert Johnson à sa porte et lui disant : "Rappelez-vous ! Ce n'est pas ce que l'on sait ou ce que l'on fait qui guérit, mais ce qu'on est."

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  4. Anonyme12:17 PM

    Bonjour Isabelle,

    « De plus, une technique ne pourra jamais remplacer la personnalité du thérapeute, capable en grande partie, de mettre en ordre ce qui doit l’être chez les patients quand le thérapeute lui même est déjà mis en ordre. » dites-vous.

    L’ "Aimant des sages" dont parle l’Alchimie n’est-il pas une façon de parler des lignes d’énergie psychique ordonnées qui attirent à elles et ordonnent tout naturellement, par "l’aimant", par l’amour de l’ordre le plus grand se manifestant au sein d’une individualité humaine suffisamment soumise à l’ordre du Soi, suffisamment individuée, les lignes jusque là moins ordonnées d ‘une autre individualité humaine ?

    Sans doute en est-il ainsi, en effet.

    Amezeg

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  5. Merci à tous pour vos messages et contributions bienvenues, notamment sur la personnalité du thérapeute.

    J'aime beaucoup votre parallèle avec "l'aimant des sages" Amezeg. Si l'on veut être plus précis, l'ordre en question fait référence je pense à la connaissance de soi pour le thérapeute, du côté obscur de sa psyché et de la réconciliation des contraires principalement ; et je veux bien croire comme vous que l'aimant vers tout ça ce soit l'amour....

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  6. Anonyme6:32 AM

    Un passage, lu dans "Mystique de la terre" peu avant de lire ici votre réponse aux commentaires, Isabelle, me semble parler avec beaucoup de force et de justesse de l’amour, de l’unification des opposés, de la prise en compte de notre obscurité (de nos ténèbres) et de la réalité transpersonnelle, le Soi*, dont l’aspect unificateur tend à propager l’unification d’une personne grandement unifiée à une personne qui l’est moins :

    « Quant à nous, la conscience que nous poursuivons est le fruit d'un amour, et c'est pourquoi nous la dénommons « conscience d'amour ». Redisons-le brièvement : notre démarche débute par un don à l'inconnu. Cet inconnu est en nous et réclame sa place dans notre conscience. Pour la lui donner, nous devons l'aimer, malgré la crainte qu'il nous inspire et le visage peu amène qu'il pourra nous montrer d'abord. Pour nous aider dans cette tâche, nous devons recourir, à un moment donné, à une aide extérieure. Nous allons vers un être en qui l'ouverture que nous poursuivons a déjà été réalisée. Nous lui donnons notre confiance, accomplissant ainsi un nouvel acte d'amour. Cet acte s'adresse, non à l'individu, mais à la réalité transpersonnelle que nous reconnaissons à travers lui. Cette réalité est faite de l'unification des opposés. Celle-ci a été l'œuvre d'un principe transpersonnel tendant a l'unité. Jung l'a appelé, pudiquement, la fonction transcendante, puisqu’il tend à réunir ce qui est normalement séparé et donc à transcender ces oppositions. Pour notre part, nous lui donnons le nom d'amour. Nous ne désignons pas ici l'élan d'un individu vers un autre, l'eros platonicien né du manque qui cherche une compensation. Ce que nous entendons, c'est l’unité principielle qui rassemble en elle les contraires. Avant de se porter et de nous porter vers l'autre, cette unité est la paix de l'amour consommé. Cette paix n'est pas statique, elle n’est pas sommeil. Elle est dynamique, elle est éveil. Elle est le soleil de la conscience né dans le cœur, elle est Lever d'Aurore ou Heure d'or, Aurora consurgens sive aurea hora. Cette unité est proprement la divinité restaurée par l'union des contraires. L'amour en est donc le sceau et nous pouvons prendre pour notre compte la parole scripturaire : « Dieu est amour ». À la différence toutefois de la formulation chrétienne, la nôtre ne laisse rien en dehors d'elle et elle inclut les ténèbres. Cette unité est vivante et tend à se propager. Considéré à ce point de vue, nous définirons l'amour comme « la force rayonnante de l'unité principielle restaurée». C'est l’agapê des Grecs et de saint Paul qui en fait la première des vertus. L'agapê est l'amour généreux qui cherche le bien de l’être aimé. Dans notre perspective, ce bien est, en définitive, l'avènement de l'unité centrale. » Étienne Perrot, "Mystique de la terre"(chapitre X), Éditions La Fontaine de Pierre

    Amezeg

    * Soi. C’est l’archétype central, l’archétype de l’ordre, la totalité de l’homme.
    Le Soi est non seulement le centre, mais aussi la circonférence complète qui embrasse à la fois le conscient et l’inconscient. Il est le centre de cette totalité comme le moi est le centre de la conscience. (C.G.Jung, "Ma vie", Glossaire – Éditions Gallimard)

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  7. C’est très bien expliqué et si proche, en effet, de ce que j’entendais par "être en ordre" merci Amezeg !

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