17 avril 2006

C.G.Jung et l'Astrologie


L'astrologue mathématicien étudiant les lois du zodiaque

Voici quelques courts extraits de textes et de lettres piochés dans l'œuvre écrite de Jung et qui témoignent de l'idée que ce dernier se faisait de l'astrologie.
Les textes sont tirés du livre de C.G.Jung, "L'homme à la découverte de son âme" Albin Michel. Et les lettres des tomes II & V " C.G.Jung Correspondance" Albin Michel.








Ptolémée, table astronomiques VIII-IXème
Au Docteur B.Baur
(Zurich)



le 29 septembre 1934





Monsieur le Docteur,



Merci beaucoup pour les aimables démonstrations. En ce qui concerne l'argument de la précession*, ce n'est pas une objection contre la validité de l'astrologie, mais contre la théorie primitive affirmant que les astres eux-mêmes diffusent certains effets. L'argument de la précession dit, comme on le sait, qu'un homme [de notre temps] né dans le degré 1 du bélier (donc quand un degré du Bélier a, comme on dit, franchi l'horizon à l'est) n'est nullement né à cette date, mais au contraire dans le degré 2 des Poissons. Les forces secrètes du soleil sont dans le degré 1 du Bélier, la lune par exemple dans le degré 7 du Cancer, Vénus, Jupiter, dans des positons analogues ; elles ne sont donc pas en harmonie sur le plan astronomique et ne peuvent de ce fait pas venir de ces positions seulement apparentes et fixées arbitrairement. Aussi Choisnard* écrit-il très justement que : "Le Bélier reste toujours dans la 12e partie du zodiaque etc.", à l'évidence il entend par là que le soleil dans le Bélier n'est pas un énoncé astrologique, mais une indication temporelle. C'est le printemps qui recèle les forces agissantes, sans souci de savoir dans quel signe du zodiaque le soleil se trouve réellement. Dans quelques millénaires, lorsque nous dirons Bélier, le soleil se trouvera en réalité dans le signe du Capricorne, donc en plein hiver, sans que le printemps ait perdu de ses forces.
Le fait que l'astrologie donne pourtant des résultats valables prouve donc que ce ne sont pas les propositions apparentes des astres qui agissent, mais les temps qui ont été mesurés ou déterminés par des positions astrales auxquelles on donne des dénominations arbitraires. Le temps s'avère ainsi être un fleuve d'évènements rempli de qualités et non comme le voudrait notre philosophie, une conception ou une condition de notre entendement abstraite en soi.
La validité des résultats de l'oracle du I Ching* fait ressortir le même fait étrange. L'exploration soignée de l'inconscient montre une étrange coïncidence avec le temps, ce qui explique d'ailleurs que les Anciens aient pu projeter la succession de contenu perçus inconsciemment et intérieurement dans les cadres extérieurs temporels de nature astronomique. Ce fait est à la base des liens existant entre les évènements spirituels et les cadres temporels. Il ne s'agit donc pas par exemple de liens indirects comme vous le supposez, mais de liens directs. Conjonctions, oppositions, etc. ne sont vraiment pas influencés par le fait qu'arbitrairement nous appelons degré 1 du Bélier ce qui est degré 2 des Poissons.

Meilleures salutations,



Votre dévoué
[C.G.Jung]


*Le point de l'écliptique (orbite solaire apparente) où se trouve le soleil au moment de l'équinoxe, le 21 mars (degré 0 du Bélier), est appelé point vernal (ou point gamma). Par suite du mouvement gyroscopique de l'axe de la terre, le point vernal se déplace sur l'écliptique dans le sens des aiguilles d'une montre. C'est ce que l'on nomme sa précession. Ce phénomène fut découvert au 2è siècle avant J-C, par l'astronome grec Hipparque de Samos. Une révolutionne complète du point vernal le long des douze constellations que compte l'astronome derrière l'écliptique, dure environ 25 000 ans sur la toile de fond d'une constellation différente (un "mois platonicien"). Pendant les 2 000 derrières années, on pouvait voir la constellation des Poissons derrière le point vernal. Maintenant il s'approche du Verseau. Dans l'astrologie occidentale, la précession du point vernal n'est pas prise en considération, au contraire même, dans les horoscopes actuels le point vernal est toujours placé dans le degré 0 du Bélier. C'est ce qui constitue le principal argument contre l'astrologie.
*Paul Flambart (Paul Choisnard) Preuves et Bases de l'Astrologie scientifique, 2è édition, Paris 1921, p.162:"… aujourd'hui comme dans l'antiquité on peut appeler Bélier la douzième partie du zodiaque que traverse le soleil aussitôt après l'équinoxe de printemps…".
* Traduit du chinois en allemand et expliqué par Richard Wilhelm, Iéna 1923, 2 volumes. Il s'agit d'un livre de sagesse et de prophéties dont les origines remontent à l'antiquité mythique.







Ptolémée projette les coordonnées terrestres, William Blake
Question adressée à Jung : "Si, comme vous le prétendez, notre psyché se trouve projetée dans les choses, qu'elle anime de ses propres données inconscientes, comment se fait-il que l'astrologie et les autres "sciences occultes" présentent de l'intérêt aux yeux de l'homme réputé conscient ?"

Réponse de Jung : L'astrologie a une grande importance et je suis loin de la sous-estimer. Cela ne veut pas dire qu'il faille supposer que les constellations éternelles soient responsables des caractères de chacun et de leurs particularités. Les constellations nous servent essentiellement à préciser notre position dans l'espace et à mesurer le temps. Mais ne soyons pas comme ce célèbre dilettante de l'astronomie qui l'admirait aveuglément en ce qu'elle permettait de fixer le poids, la composition chimique des étoiles et surtout de découvrir leurs noms ! Elles ne portent pas des noms qu'elles possèdent à priori, mais bien ceux que nous leur avons données et qui servent en partie de repères dans le temps; c'est là que commence le grand problème de l'astrologie. Comment se fait-il qu'une époque, qu'une période donnée possède certaines qualités qui se reflètent dans les choses et les êtres qui les ont traversées ou qui y ont pris naissance, qualités qui permettent aussi de conclure en retour à l'époque où ces choses ont été engendrées ? Ce problème paraît d'un point de vue philosophique être extrêmement compliqué, alors que dans la pratique il est fort simple ; j'ai par exemple chez moi une vieille armoire dont un connaisseur compétent me dirait qu'elle a été faite vers 1720 à tel ou tel endroit, par tel ou tel maître. Comment le sait-il ? C'est là la science du bon antiquaire ! De même un fin connaisseur en vin pourra préciser l'année, le cru et la cave de tel ou tel échantillon. Il sait que le vin de telle année et de tel coteau, en raison des conditions particulières qui régnèrent alors, a acquis une saveur qui le distingue des vins que ces mêmes vignes livrèrent les autres années. Il en va de même des hommes ; nous sommes nés à un moment donné, en un lieu donné, et nous avons, comme les crus célèbres, les qualités de l'an et de la saison qui nous ont vus naître. L'astrologie n'en prétend pas davantage.







Ptolémée, table astronomiques VIII-IXème
To Pr.B.V.Raman*
Bangalore/India


6 septembre 1947


Dear Pr.Ramn,


Je n'ai pas encore reçu l'Astrological Magazine, mais je veux quand même répondre tout de suite à votre lettre.
Vous voudriez savoir ce que je pense de l'astrologie ; il y a plus de trente ans que je m'intéresse à cette préoccupation de l'esprit humain. Ce qui m'intéresse avant tout en tant que psychologue, c'est la question de savoir comment la complication de certains caractères peut-être élucidée au moyen de l'horoscope. Dans les cas de diagnostic psychologique difficiles, je fais la plupart du temps dresser un horoscope pour disposer d'un point de vue, nouveau. Dans beaucoup de cas les indications de l'astrologie contenaient une explication pour certains faits que je n'aurais pas compris sans elle. D'une telle expérience j'ai tiré la conclusion que l'astrologie présentait un intérêt tout particulier pour le psychologue. Elle est fondée sur un fait psychologique d'expérience que nous appelons "projection" – c'est-à-dire que ce que nous trouvons dans les constellations astrales, ce sont en quelque sorte des contenus de l'âme. A l'origine il en est résulté l'idée que ces contenus provenaient des astres, alors qu'ils n'ont avec eux, en fait, qu'une relation de synchronicité*;
Je conviens que c'est très singulier, et que cela jette une lumière étrange sur la structure de l'esprit humain.
Ce que je regrette dans la littérature astrologique, c'est surtout l'absence d'une méthode statistique par laquelle certains faits fondamentaux pourraient recevoir une base scientifique.
J'espère que ma lettre à répondu à votre question.


Yours sincerely
[C.G.Jung]


* L'en-tête de sa lettre est ainsi libellé :"Kaman Publicaitons, Proprietor B.V.Raman ; The Astrological Magazine (India's Leading Cultural Monthly)."
* Par la suite, Jung a modifié par deux fois ce point de vue. Cf. lettres à A.Jaffé, 8 septembre 1951, n 2 et à Bender, 10 avril 1958.






le zodiaque, XVIème
15 novembre 1958
To Robert L.Kroon







L'astrologie est une de ces méthodes intuitives comme le Yi-King, la géomancie et autres procédés de divination. Elle est fondée sur le principe de synchronicité, c'est-à-dire sur des coïncidences significatives. J'ai exploré expérimentalement trois de ces méthodes intuitives ; celle du Yi King, la géomancie et l'astrologie.
L'astrologie est une psychologie naïvement projetée dans laquelle les attitudes et les tempéraments humains sont représentés par des dieux et identifiés à des planètes ou à des constellations du zodiaque. Lorsque je travaillais sur l'astrologie, j'ai eu plus d'une fois l'occasion de l'appliquer à des cas particuliers.
On constate de remarquables coïncidences, par exemple la position de Mars au zénith dans le fameux horoscope de Guillaume II, qu'on a appelé le "Friedenskaiser". Déjà dans un traité médiéval il est dit que cette position signifie toujours un casus ab alto, un cas qui vient du haut.
Une telle expérience est très impressionnante pour un esprit versatile, peu sûre lorsqu'elle est aux mains de quelqu'un sans imagination, et dangereuse dans celles d'un fou, comme c'est le cas pour toutes ces méthodes intuitives. Si on s'en sert intelligemment, elle peut être utile lorsqu'on a affaire à une structure particulièrement opaque. Elle permet souvent des intuitions surprenantes. Sa limite la plus sûre est constituée par le manque d'intelligence et d'ouverture d'esprit de l'observateur. Elle constitue un intelligent aperçu comme peuvent l'être les lignes de la main ou l'expression du visage – toutes choses dont un esprit stupide et sans imagination ne peut rien faire et à partir desquelles un esprit superstitieux tire les pires conclusions.
La vérification statistique des "vérités" astrologique est discutable et même improbable. (CF mon article "Synchronicity" ; an acausal connecting principle", in Jung-Pauli, The interprétation of nature and the Psyche, Bollingen Series, vol LI, New York, 1952 p83sq.).
Leur utilisation superstitieuse (qu'il s'agisse de la prédication de l'avenir ou de l'établissement de certains faits à travers les possibilités psychologique) est fallacieuse.
L'astrologie diffère beaucoup de l'alchimie dans la mesure où la littérature historique en la matière consiste simplement en l'exposé des différentes méthodes qu'on peut utiliser pour monter un horoscope et pour l'interpréter, et non en textes philosophiques, comme c'est le cas pour l'alchimie.
Il n'existe pas encore de présentation psychologique de l'astrologie, compte tenu du fait qu'on ne dispose pas à ce propos du fondement empirique nécessaire à la démarche scientifique. Et la raison en est que l'astrologie n'obéit pas au principe de causalité, mais relève, comme toutes méthodes intuitives, de l'acausalité. Il n'est pas douteux que l'astrologie est aujourd'hui plus florissante qu'elle l'a jamais été dans le passé, mais en dépit de son usage de plus en plus fréquent, elle n'est encore explorée que de façon très insatisfaisante. Elle ne constitue un instrument heureux que si on s'en sert intelligemment. Elle n'est pas du tout à toute épreuve et, si c'est un esprit rationaliste et borné qui s'en sert, elle s'avère franchement nuisible.



Yours cordially,
[C.G.Jung]









Extrait de la lettre adressée au Docteur Michael Fordham – le 18 juin 1954 –

Critiques majeures que je fais aux astrologues
Si j'ose me prononcer sur un domaine que je ne connais que très superficiellement, je dirais que l'astrologue ne considère pas toujours ses indications comme de pures possibilités. L'interprétation est trop littérale et trop peu symbolique, aussi trop personnelle. Le "zodiaque" et les planètes ne sont pas des traits personnels, mais plutôt des données impersonnelles et objectives. Aussi [elle aussi] l'interprétation des maisons devrait considérer plusieurs "couches de signification".
Il est évident que l'astrologie peut offrir beaucoup à la psychologie, mais ce que la dernière peut contribuer à sa sœur aînée est moins évident. En tant que je peux juger, il me semble qu'il serait avantageux pour l'astrologie qu'elle se rendrait compte de l'existence de la psychologie, surtout celle de la personnalité et de l'inconscient. Je suis presque sûr qu'on puisse en apprendre quelque chose de sa méthode d'interprétation symbolique. Il s'agit là de l'interprétation des archétypes (les dieux) et de leurs relations mutuelles, commeune aux deux arts. C'est la psychologie de l'inconscient qui s'occupe particulièrement du symbolisme archétypique.






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3 commentaires:

  1. Voilà une démonstration concrète de l'intérêt accordé par Jung à l'astrologie. Sa "vision" d'une astrologie enrichie par l'apport de la psychologie a fini par se matérialiser. Merci Carl Gustav !

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  2. Merci de ces lumières révélatrices !

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  3. merci d'avoir rassemblé ces textes. J'espère que le projet du regretté Michel Cazenave, d'écrire un livre sur "Psychologie et astrologie" sera, un jour, rendu public, pour comprendre l'utilité prégnante de cet outil dans la compréhension des énergies qui traversent l'âme humaine.

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