23 juin 2025

La souffrance de l'humanité


Je voulais vous parler de la souffrance en lien avec la psychologie des profondeurs. Mais il m’est difficile de le faire sans évoquer d’abord l’épidémie de souffrance humaine collatérale que l’actualité place sous nos yeux. 

Ce que je vois dans le monde me glace : toute cette violence qui tue et détruit, au mépris des populations — que ce soit à Gaza, en Ukraine, en Iran maintenant… et dans bien d’autres lieux, hélas, à travers le monde.  
La souffrance existentielle, collective et collatérale submerge tout — y compris la vie individuelle. 

En tant que psychologue, j’ai le sentiment que la subjectivité de chacun est piétinée, écrasée sous le poids de la masse. 

Cela ne signale-t-il pas la difficile actualisation du Soi — cette instance intérieure capable d’articuler l’individuel et le collectif ? 
Je sais bien que l’heure de l’Ère du Verseau n’a pas encore sonné (cf. Paul Le Cour), mais combien de vies humaines devront encore être fracassées, sacrifiées ? 

La montée de la mondialisation avait déjà entériné l’unilatéralité d’une seule voie : celle de l’économie et du profit. 
Aujourd’hui, avec l’essor du populisme et le retour des dictateurs, c’est une psyché archaïque qui se réveille — un refoulé collectif qui fait irruption. 

Jung écrivait que, happé par la masse, l’individu disparaît, absorbé par l’abstraction qu’est la raison d’État (Présent et avenir). 

Aujourd'hui, à nouveau,  ce ne sont plus seulement des abstractions : ce sont les actes concrets de guerre et de génocide qui produisent ce sentiment d’effacement de l’individu. 

Pour moi, cette souffrance humaine collatérale est profondément insupportable, abjecte, révoltante. 

La nature extérieure peut infliger des tourments, mais c’est bien l’environnement humain — ce que l’on appelle « le monde extérieur » — qui incarne aujourd’hui les plus grands périls. Et encore, je passe ici — pour ne pas alourdir ce post — l’impact délétère que ce climat exerce sur la psyché des plus fragiles… 

Les sentiments, les attachements à sa famille, à ses ami·es, à la vie, à la psyché individuelle — que valent-ils face aux buts de guerre d’un pays, d’un parti, ou même d’un seul homme, qu’il soit dictateur ou fou ? 
Pour quelqu’un comme moi, de culture jungienne : énormément

Nous pensions, peut-être naïvement, qu’en vivant dans un monde (soi-disant) évolué, il deviendrait plus sûr. Rien n’est plus faux aujourd’hui.

20 juin 2025

Dominer n'est pas connaître - Quand l'oubli de la psyché nourrit le chaos du monde -

 



Voilà ce que le spectacle de guerre, désolant et effrayant, qui se dresse devant nos yeux aujourd’hui m’inspire ; une réflexion que je relie profondément à la psychologie des profondeurs de Jung. 

Chez l’homme, la nature, c’est son essence. Non pas au sens biologique ou utilitaire, mais au sens profond de ce qui l’anime : sa psyché, son âme vivante. 

Pourtant, depuis des siècles, l’importance de connaître la nature de l’homme en lui-même a été largement sous-estimée. 
Nous avons exploré le monde en n’écoutant qu’une seule voix : celle de la raison. 
Nous nous sommes appuyés sur les grandes idées philosophiques, les dogmes religieux, les certitudes scientifiques, et aujourd’hui, sur la logique consumériste du tout-économique, du tout-marchand. Acheter, vendre, produire, consommer — voilà notre quotidien. 

Mais la vie ne se résume pas à l’économie. 

Nous ne cherchons pas à connaître la nature : nous cherchons à la maîtriser. 

L’avènement des machines, les prouesses techniques et technologiques, nous ont donné l’illusion d’une toute-puissance. 
Mais à quel prix ? Surpopulation, crise écologique, violence omniprésente et retour des guerres épouvantables… Voilà où nous a menés cette volonté de domination, cette fuite en avant vers un contrôle total du vivant. 
 
Or, dans cette course, nous avons oublié d’écouter : la nature. 
La nature, disait Jung, c’est ce qui parle. Elle nous parle à travers les rêves, les symboles, les visions — tout un langage que seule la psyché peut réellement entendre. 

Mais notre monde moderne a relégué la psyché au second plan, comme une chose fragile, floue, presque dérangeante. 
Et pourtant, c’est elle qui pourrait nous aider à affronter le désordre de notre époque. 

En voulant soumettre la nature à notre volonté, nous avons négligé notre propre essence. Nous avons tenté de maîtriser le monde extérieur sans jamais plonger dans sa profondeur — ni dans la nôtre. 

Les guerres qui se multiplient, les barbaries qui ressurgissent ne sont que le reflet de cette ignorance : des hommes qui continuent de lutter pour dominer les autres, incapables de reconnaître que ce n’est pas la nature que nous dominons — c’est elle, non reconnue en nous, qui continue à nous dominer. 

Tant qu’on domine sans comprendre, qu’on agit sans écouter, les forces brutes — en nous et autour de nous — restent livrées à elles-mêmes. 
Non transformées, elles détruisent. 
Non reconnues, elles nous gouvernent. 
Car ce qu’on refuse d’éclairer devient ce qui nous engloutit. 

Dominer, ce n’est pas connaître. Et si nous dominions vraiment la nature, alors pourquoi serions-nous, aujourd’hui encore, submergés par tant de violence, tant de guerres, tant de chaos ?



19 juin 2025

Le paradoxe de la vie

La psyché, c’est la vie. Et la vie, comme les sentiments, n’est pas quelque chose de palpable — sauf lorsqu’elle se manifeste en nous, à travers notre corps, nos ressentis, nos émotions. 

Mais nos émotions — en tout cas en France — sont encore si peu considérées ! Il n’y a pas si longtemps, les exprimer était perçu comme une faiblesse. Se taire, en revanche, était valorisé comme une vertu. Bien sûr, les émotions violentes ou agressives n’ont jamais fait de bien à personne. 

Mais précisément, la psyché possède des versants positifs et négatifs. Tout n’est pas lisse ni blanc dans le monde psychique, comme d’ailleurs dans le monde physique. Or nous aimons croire que nous pouvons, sans conséquence, ranger d’un côté le blanc, le lisse, le bien — et de l’autre, le noir, le rugueux, le mal. Mais en pensant ainsi, nous ne faisons vivre qu’une partie de notre psyché. C’est justement ce qui m’a poussé à m’intéresser à toute la psyché — et donc à la psychologie des profondeurs. Cela m’a pris du temps, car il a fallu accepter ce qui est inconnu, ce qui échappe, ce qui est sombre — ce que nous appelons trop vite “mauvais”. 

Il existe, bien sûr, un “mauvais réel”, ce que Jung évoquait comme le mal radical, ou comme une force autonome dans la psyché. Mais bien souvent, ce que nous qualifions de “mauvais” l’est simplement parce que cela se tient dans l’ombre : dans l’inconscient, dans ce qui n’a pas encore été reconnu. 

La psyché, c’est tout cela à la fois : le sublime et le sombre, le lumineux et l’inquiétant — ce que nous connaissons, et ce qui reste à découvrir. Il est essentiel d’accueillir tous ces aspects, non pour les craindre ou les nier, mais pour permettre au développement psychique de se poursuivre. 

Parfois, d’ailleurs, ce développement peut s’arrêter net après un traumatisme violent. 
La psyché peut alors dysfonctionner — mais aussi produire du merveilleux. 
C’est ça la psyché ou tout le paradoxe de la vie. 


 Illustration ; Gaëlle Bacquet