13 février 2016

Un autre regard sur les fantaisies


J'ai déjà  longuement parlé du concept de libido, l’énergie psychique pour Jung ; j’ai explicité ce concept-clé de l’approche jungienne.  Je voudrais m'intéresser un peu plus à présent aux productions de l’inconscient - les rêves - les fantaisies etc.

Dans ce petit billet je commencerai par les fantaisies ; la psychanalyse parlera plutôt de phantasmes. De quoi sont tissées les fantaisies ? D’où tirent-elle leur matière ? S’interroge Jung au début de ses Métamorphoses de l’âme et ses symboles. Je partirai de là.

Il prend l'exemple d'une fantaisie typique de la puberté. Un jeune homme face à l’incertitude de son devenir se dit en projetant son imagination dans le passé : « Et si je n’étais pas l’enfant de mes parents, mais l’enfant d’un noble et riche comte etc ». Cette fantaisie, sauf s’il s’agit d’un cas pathologique, passe normalement très vite. Il se trouve qu’à l’époque antique, nous dit Jung, l’imagination de la descendance divine n’était pas une fantaisie mais « une vérité acceptée de tous ». Comme en atteste d’ailleurs l’existence des mythes. De nombreux récits mythologiques mettent en scène des héros enlevés de leurs vrais parents et voire même issues de parents divins.  Jung cite à ce sujet l'histoire des jumeaux Rémus et Romulus qui furent séparés de leurs parents – l’un d’eux était un Dieu - et jetés dans le Tibre.

Ainsi, ces vérités d’hier, nos fantaisies d’aujourd’hui, se répètent et sont « au fond issues d’une forme de pensée archaïque reposant sur des instincts qui n’a rien d’infantile ni de pathologique. Cette forme de pensée primitive, continue de nous expliquer Jung, reposaient sur des instincts (1), qui, cela est naturel, n'apparaissent avec plus de clarté que plus tard ». Plus tard, il faut entendre, je pense, quand les hommes furent capables de mener un travail introspectif.

Pour autant, cette pensée provenant du fondement instinctivo-archaïque de notre esprit continue d’exister, aujourd’hui dans l’inconscient, Jung l’a appelé la pensée imaginative, ou non dirigée (voir mon ancien article). Elle continue d’exister à côté de la pensée dirigée consciente. N ‘en déplaise ou pas à cette dernière !

Et d’ailleurs vouloir faire comme si elle n’existait pas ne ferait que la renforcer à cause de la charge énergétique des instincts. Et accentuer notamment la formation d’angoisse, d’anxiété ou troubles phobiques divers.  Tout comme réduire, l’existence de ses fantaisie issue de cette pensée archaïque à tout l’infantile non réglé empêche de pouvoir regarder ce que ces fantaisies ont à nous apprendre sur l’état du développement global ou non global de notre personnalité.

Pour illustrer le rôle profond de cette pensée, je vais donner un exemple clinique ; il s'agit d’un rêve en rapport précisément avec une fantaisie de puberté. Le rêveur rêve que ses parents ne sont pas ses vrais parents. Le rêveur est une personne qui a reçu une éducation parentale très stricte, très sévère et très possessive.  Âgée de 40ans, elle essaie à présent de se défaire de cette emprise parentale. Un travail qu’elle n’a pu commencer à l’adolescence, tant elle était terrorisée par ses parents. Aujourd’hui c’est devenu quelqu'un d'anxieux et de dépressif mais qui désire s’en sortir et se libérer de ses chaines. Non sans ressentir une très grande inquiétude sur ses capacités à pouvoir conduire sa vie sans ses chaînes. Comme à l’intérieur de son moi,  se trouve donc plein de sentiments de peur et d’insécurité, l’inconscient a sans doute produit ce rêve typique de puberté en réaction à son extrême anxiété consciente.

L’analyse de ce rêve a permis, in fine, à cette personne de mieux comprendre l’étape de croissance individuelle dans lequel elle se trouvait. Et de voir également le rôle compensateur de son inconscient.

Ainsi, reconnaître la texture archaïque de ses fantaisies conduit à les regarder comme un marqueur générique et instinctif en provenance d’une autre forme de pensée et non comme la manifestion d’un désir infantile ; ce qui change beaucoup les choses, car  pour pouvoir concrètement progresser dans la vie, il est beaucoup plus constructif et aidant, de se dire, voilà ce que je dois parvenir à dépasser aujourd'hui,  que de se dire mon esprit fonctionne encore comme si j’avais 12ans.

(1) Ce que Jung appellera plus tard les archétypes