"La mythologie en général recèle tous les
trésors dont rêve le psychologue, à cause de la variété et de la richesse de
ses images" écrit Augusto Vitale dans "Pères et mères - L’archétype de Saturne ou la transformation du père".
Je partage tout à fait l’avis de cet auteur ainsi
que son analyse du mythe de Cronos-Saturne qu’il associe au tableau clinique de
la mélancolie et de la dépression profonde.
La
mélancolie consiste en une tristesse profonde et sans motif, en plus d’une
inhibition de toutes les activités psychiques. Toute énergie instinctuelle est
inhibée. Le patient ne désire plus rien. Il se sent vide de capacité productive
et déplore son insuffisance, son insensibilité et son manque de goût pour quoi
que ce soit. Dans sa profonde tristesse, le monde lui semble terne et sans
intérêt. Il ressasse le passé et se sent profondément coupable. Le présent ne
lui offre que des soucis et l’avenir n’est pour lui que ruines et désolation. A
ce stade de la mélancolie, l’anxiété et le désespoir ressentis par l’individu
peuvent le mener au suicide".
Comme l’indique Augusto Vitale, la mélancolie
est un état d’âme indifférencié, élémentaire qu’il n’est pas étonnant d’en
retrouver "le motif dans une amplification mythologique également
primitive et archaïque" telle que l’illustre le mythe de Cronos-Saturne.
En effet, Cronos, dernier rejeton du couple
originel Gaïa et Ouranos fait parti des Titans. Dans la mythologie grecque, les
Titans appartiennent à la première race
divine dits les premiers dieux individualisés.
Nous sommes loin du stade du
héros souligne Augustino Vitale. Pour Jung, je rappelle que le héros est un symbole de la libido en
tant que figure humaine et représente l’être qui suit la route de son propre
destin individuel et qui y parvient en s’extirpant du passé infantile.
Cronos,
loin d’être un héros, il est néanmoins le seul titan qui osera se révolter
contre son père (le ciel), à la demande de sa mère (la terre) furieuse, cette dernière, de retenir en son sein ses 12 enfants,
qui, faute de pouvoir sortir de son ventre la gonflent la compriment et la
compressent.
Elle
dépose alors dans les mains de Cronos enfoui dans son ventre, une faucille et demande à ce dernier, au
moment où Ouranos s’unira à elle, de lui couper son membre virile. Au moment où
il est châtré, Ouranos pousse un hurlement de douleur ce qui l’éloigne fortement
de Gaïa.
En castrant le père primordial, le dieu Cronos
occupe la place de celui qui est à l’origine d’un acte de séparation, séparation
qui fait suite à une longue période de souffrance et d’enfouissement dans le
ventre maternel. C’est lui qui a permis également de débloquer le temps ;
le temps qui renvoie à l’inévitable vieillesse et déchéance. La conscience de
la mort que l’on retrouve très présente chez le sujet mélancolique.
Cronos a permis
d’illuminer le ciel obscur et de donner naissance à un monde différencié ;
que l’on retrouve aussi dans la conscience et la lucidité mentale exagérée du
mélancolique. Son excès de conscience l’éblouie et se transforme en "lucidité dangereuse qui paralyse chaque mouvement vers l’avant par sa vision d’un échec catastrophique". Le mélancolique ne vit plus et cependant ne peut mourir. Il voit tout trop clairement sans pouvoir agir. Rappelons que Cronos n’est pas encore un héros, mais un vieux dieu et patriarche rusé, révolté, égoïste et pessimiste, doté d’une introspection épuisante.
Cronos devra aussi porter
le souvenir et la mémoire de la faute, de la peur du châtiment et de la
culpabilité qui vont avec. Le poids de la mauvaise conscience issue de par le fait que Cronos a acquis son existence au prix de la mort de son père et du
déchirement de l’unité indifférenciée de ses parents.
Dans un second temps, Cronos devient le roi
des Dieux. "Il devient un être indépendant, contradictoire, dangereux et problématique".
Gaia l’ayant prévenu qu’il risquait de devenir lui même victime de ses enfants ;
dés qu’il a un enfant, il l’avale et le dévore. Ayant fait l’expérience douloureuse
dans la première phase du père qui faisait obstacle à sa libération de la
matrice fertile et contenante, il a peur à présent d’être détrôné. Il craint
par dessus-tout de perdre le pouvoir. Cronos exprime l’individu qui s’enferme,
résiste, essaie de stopper le temps, qui a peur de changer de forme, de céder sa place. Il refuse
la transformation et tend à préserver sa propre conservation.
L’étrange intervention du "maître des âmes" est néanmoins
absolument nécessaire au développement de tout type de conscience et en ce sens
est un bien pour l’homme. Il ne peut y avoir de transformation sans souffrance.
Car dans "le seigneur des âmes" l’esprit demeure emprisonné.
Le
fort potentiel de transformation présent dans l’image archétypale de Cronos-saturne se retrouve dans l’image qui lui appartient, celle du plomb menant à l’or ; et dans
la mythologie dans la phase finale de l’Age d’Or qui est celle de la
dernière transformation du titanique dévoreur d’enfants, maintenant devenu "l’ami des hommes et leur guide sur le sentier de la paix et de l’amour".
"Cronos-Saturne, l’étoile de la
dépression, de la séparation, de la souffrance morale et de la culpabilité représente le moment négatif et nécessaire au
processus d’individuation " écrit Augustino Vitale.
Qu’elles viennent de l’extérieur ou bien d’une peur intense incomprise,
la douleur et la souffrance caractérisent l’état naturel de Cronos.
Mais les
tensions peuvent s’apaiser lorsque l’on sait qu’elles ont un but et un sens. "Dans les ténèbres profondes de
Saturne se cache la lumière des lumières et la teinture de la vie baigne dans
cette putrifaction ou dissolution de destruction. Ah! ne détestez pas ces
ténèbres mais persévérez en leur sein avec patience, dans la souffrance et le silence
jusqu’au jour où leurs tribulations seront terminées et où le germe de la vie
s’élancera vers le jour, se sublimera, se glorifiera, se transformera en
blancheur, se purifiera ".