Les vacances d’été étant terminées, je peux de nouveau me mettre au partage de mes découvertes approfondies en rapport avec la
psychologie jungienne. Sans oublier avant de souhaiter aux Internautes qui me
lisent une très bonne rentrée !
La pensée imaginative de Jung et la pensée magique, apparentée à la pensée prélogique, de
Freud conduisent toutes les deux à produire une image subjective et déformée du
monde. Mais les deux divergent radicalement sur deux points ; l’une, la pensée
magique est issue de motifs conscients et présente un aspect naïf, puéril ; l’autre, la pensée non dirigée, suppose des motifs inconscients ; au
surplus, possède un caractère spontanée et est douée d’initiative propre. La divergence de vue des deux hommes, bien
évidemment s'explique sans peine, par le fait que Freud persistait à regarder
l’inconscient humain comme un dépôt de sédiments psychiques d’ordre
exclusivement personnel et intime ou encore comme « un système personnel clos
», pendant que Jung en percevait la
réalité beaucoup plus vaste, profonde, collective, historique voire
universelle.
Différence de niveau
- Une pensée parallèle
La pensée imaginative de Jung ou encore la pensée non
dirigée est une pensée destinée non pas à connaître le monde et à s’adapter à
lui mais à se connaître soi. Ce mode de connaissance, au fil des siècles et
avec le développement de la conscience a connu deux fonctionnements ; le
premier sur la ligne du temps a permis à l’âme - la réalité vivante et
instinctive humaine - de se projeter sous l’aspect d’esprits et d’autres
figures animées ou inanimées sur les éléments de la nature. Les produits et
images de l’âme n’ont cessé de se complexifier et de s’agréger aux états
affectifs divers. Lorsque l’homme devenu capable d’introspection et donc de
nommer les composantes de son être, est advenu un deuxième mode de
connaissance ; celui où l’âme devint une réalité vivante, non plus à
l’extérieur mais à l’intérieur de soi. En d'autres mots, la connaissance de l’âme ou de soi a glissé
progressivement d’une observation externe vers une observation interne.
La pensée non dirigée, dont nous avons vu les deux formes
d'expression, l’une primitive et l’autre datant de l’époque des Lumières, à
priori réclame peu d’effort, en ce sens où cette pensée survient quand le
cerveau est en récréation et donc quand la pensée consciente disparaît (voir mon billet précédent). Avec la
poussée de l’esprit, la pensée dirigée consciente et scientifique n’a cessé de
se développer, reléguant plus ou moins dans l’inconscient la pensée
imaginative. Pour autant, la pensée autonome imaginative et magique ne s’est
pas éclipsée ; nous continuons à la voir exercer sa pleine activité par exemple
dans les rêves, les fantaisies, les symboles, les grands mythes etc. Lorsque
l'intensité de l’une augmente, celle de l’autre s'affaiblie et vice versa ;
ainsi les deux pensées fonctionnent
toujours en mode stéréo.
Freud, dans Totem et Tabou (1913) compare la
pensée de l’enfant et du névrosé obsessionnel à la pensée magique. La pensée magique a été qualifiée de prélogique par
l’anthropologue Levy Brühl. L’état d’esprit prélogique est la fille de la
pensée consciente dirigée et logique. Elle a précédé l’état religieux, lui même
ayant précédé l’état scientifique qui
est le stade ouvrant sur la structure finale de la pensée, toujours selon Freud. La forme prélogique de la pensée
appartient à la conception du monde animiste. Dans cette conception primitive,
l’esprit humain soumet le monde en utilisant la technique de la magie ; les
procédés magiques servant à rendre le monde apaisant, conciliant, favorable et
obéissant à la volonté personnelle.
- L’action des archétypes
La pensée non dirigée fonctionne à partir des archétypes
et des instincts présents dans l’inconscient collectif. C’est son fondement
archétypique et instinctif qui confère à la pensée imaginative une existence
autonome, un caractère vivant, spontanée. Cette pensée est une pensée produite
par la libido, puisque je rappelle que l’énergie de l’archétype est la libido.
D’où sont caractère fascinant, agissant, numineux exercée par l’énergie. Un
instinct, une impulsion, quelque chose qui fonctionne tout seul, voilà sur quoi
repose la pensée non dirigée. Pour bien comprendre celle-ci, il faut admettre comme
Jung (1964) que la psyché n’est pas vide ; « La psyché est plus que la conscience ».
De même que « la conscience n’est que la conscience du moi ». Il n’y a qu’à
voir les animaux ; « les animaux qui semblent n’avoir aucune conscience, mais
la présence en eux de pulsions et de réactions dénotent la présence d’une
psyché. De même que les primitifs font beaucoup de choses sans en connaître la
signification ».
- La volonté de puissance
Pour Freud les motifs qui poussent à l’exercice de la
magie sont les désirs humains. « Nous devons seulement admettre que l’homme à
une confiance démesuré dans la puissance de ses désirs. Au fond, tout ce qu’il
cherche par des moyens magiques, ne doit arriver que parce qu’il le veut ». Ce
qui fait dire à Freud encore « les choses s’effacent devant leurs
représentations » ; Selon Freud, la technique du mode de pensée animiste est « la
toute puissance des idées ». Qui est aussi la même toute puissance des lois
psychiques que Freud a constaté dans la névrose obsessionnelle. Comme le
primitif, ainsi que chez l’enfant, le névrosé attribue une intense valeur à ce qui
est pensé plus qu’à ce qui est vécu. Cette prévalence de la pensée sur les
choses conduit à une déformation de l’image du monde objectif.
- Inspirer, orienter, rassurer, accompagner…
La pensée imaginative peut servir à nous guider, nous
informer, nous éduquer, tout comme le ferait un rêve. De plus comme le dit Jung (1964), les mythes et leur caractère religieux à fortiori, peuvent être interpréter
comme une sorte de thérapeutique mentale, dirigée contre les souffrances et les
sujets d’inquiétude qui affligent l’humanité : la faim, la guerre, les
maladies, la mort. La production par les instincts d’histoires ou de mythes sert
généralement à rassurer les primitifs. Jung cite d’ailleurs fréquemment le
mythe du héros, ce dernier se réfère à un homme tout puissant qui
triomphe du mal incarné par des dragons, monstres, démons et parvenant à libérer,
in fine, son peuple de la destruction et de la mort. Le succès contemporain des
héros Marvel illustre parfaitement la récurrence du besoin humain archaïque d’être
rassuré.
Ainsi, les mythes ont comme fonction d’apporter un soulagement
et une réponse aux peurs les plus profondes de l’humanité. Ils inspirent comme le
dit Jung et donne le ton à une société entière. Jung cite l’exemple du
christianisme.
Notre monde d’aujourd’hui n’est-il pas à la recherche d’un nouveau
mythe ? Ou en terme économique, d’un nouveau paradigme de
développement ? Croire que l’Etat et la science sont les seuls à pouvoir
décider du sort des hommes et des sociétés est un leurre total, je pense. Le retard que
connaissent les sociétés modernes à acquérir maturité et sagesse vient sans
doute d’un mésusage de la pensée imaginative, soit une pensée charriant
beaucoup d’énergie restée hélas trop longtemps sous développée, et donc
inconsciente ; de sorte que nous ne faisons que subir ses nombreux avatars
à plus ou moins grande échelle : archaïsme, extrémisme, terrorisme,
violence, retour de la barbarie. Jung disait, "c’est toujours un mythe qui fait
suivre le monde dans telle ou telle direction". Qu’en est-il de notre mythe
contemporain ?
La pensée magique et infantile sert à transformer le
monde. Le monde animiste apparaît au yeux de l’homme primitif peuplé d’être
bienveillants (les esprits) et malveillants (les démons). Tout cela montre bien
que dans l'esprit de l' homme primitif, les lois de sa propre pensée ont remplacé les lois naturelles.
L’enfant, quant à lui remplace les choses absentes - à commencer par le
sein maternel - par des représentations.
Et chez le névrosé, sa pensée étant retournée au stade du narcissisme, un stade où l’énergie est fortement sexualisée, reprend de fait, contact avec la toute puissance primitive des idées.
Les primitifs, l’enfant, et le névrosé, sont persuadés de
pouvoir transformer les choses extérieures par la force des idées. La
déformation du monde par les idées évite à la pensée primitive, infantile et
pathologique d’être confrontée au problème de la mort, de la frustration, de l’impuissance,
et de la petitesse humaine. Selon Freud (1913), "c’est seulement lorsque la pensée de
l’enfant et de l’humanité ont atteint la phase de développement scientifique
qu’il n’y a plus de place pour la toute puissance de l’homme
qui a reconnu enfin sa petitesse et s’est résigné à la mort". En clair, en accédant au stade de la pensée dite scientifique l'homme accepte de se soumettre au principe de réalité.
De toute évidence, nous sommes conduits à
constater que Freud, comme à son habitude, s’est laissé fortement influencer
par son propre modèle théorique du développement de la personnalité. Ne voyant
dans la mentalité primitive et magique qu’un mode de pensée inférieure et pathologique. Pensée qui subsisterait conservée en fond résiduel dans les superstitions. De plus, il manque,
comme de coutume, chez Freud, le traitement
de tout l’aspect collectif et spirituel de la psyché. Il m’a semblé par exemple
que Freud s’arrêtait là où cela devenait intéressant ; à propos des mythes,
n’écrit-il pas : « il est évident que le mythe repose sur des éléments
animistes, mais les détails des rapports existant entre le mythe et l’animisme
n’ont pas été élucidés dans leur points essentiels ».
Une autre question surgit lorsque l'on est jungien ; le développement de la personnalité prend t-il vraiment fin au stade scientifique ou logique ?
Enfin, le crédo scientifique prôné par Freud et trahissant les
idées dominantes de son temps semble barrer l’accès à la vie d’une pensée proche du
type imaginatif, c’est à dire intuitive et vivante. Sans un développement
scientifique de la pensée humaine point de salut semble nous chuchoter la voie
freudienne. Pourtant, l’effacement de tout caractère subjectif dans tous les champs du
savoir scientifique ne me paraît pas offrir un modèle de renoncement exemplaire à la
volonté de puissance. Jung (1950) notait déjà : « Ce serait présomptions
ridicules et injustifiées que de prétendre que nous avons plus d’énergie ou d’intelligence
que les anciens : la matière de notre savoir s’est accrue, l’intelligence
nullement. Aussi somme nous en présence d’idées nouvelles, aussi bornés que les
hommes des périodes les plus obscures de l’antiquité. Nous nous sommes enrichis
en savoir, pas en sagesse ».
En clair, on ne peut confondre les deux pensées pré
logique/scientifique et pensée
imaginative ; et surtout pas qualifier la pensée imaginative d'infantile ou de pathologique. Certes, elle a connu son enfance au cours de laquelle l'observation de soi se faisait à l'extérieur et sans conscience, mais son activité n'a
jamais cessé et ne cessera jamais car elle représente la Vie et son besoin de
spiritualité. La poussée de l'esprit rationnel et logique a dû évidemment se frayer à grand-peine un passage dans la Vie, autrement dit trouver un peu de
vide pour exister, s'exprimer et se développer. La réussite de cette percée est attestée par les progrès considérables réalisés dans le domaine de la culture et de de l'éducation. Toutefois, parachever l'oeuvre du devenir humain ne consisterait-il pas à voir marcher main dans la main pensée
logique, pensée imaginative ?
Freud, S. (1913). Totem et Tabou. Payot.
Jung, CG. (1950). Métamorphose de l'âme et ses symboles. Le livre de Poche.
Jung, CG, (1964). L'homme et ses symboles. Robert Lafont
© 2013 Copyright Isabelle Basirico - Reproduction interdite - tous droits réservés -