12 juillet 2006

Les méandres de la découverte de l'inconscient Freudien

Kinuko Y. CraftMême s'il plaisait beaucoup à Freud d'être reconnu sous la bannière d'un très grand "découvreur", tout le monde sait cela à présent ; la découverte de l'inconscient ne date pas de lui. L'inconscient des philosophes s'est chargé bien avant Freud de faire entendre sa voix lointaine et profonde depuis l'arrière-plan de l'activité psychique consciente. Le savoir légué par de nombreux philosophes sur l'inconscient (Lire) a montré que ce dernier pouvait être vu soit comme une force vitale soit comme une absence de perception. D'aucuns diront que la signification à caractère mystique de l'inconscient, qu'elle soit d'hier ou d'aujourd'hui n'a pas grand-chose à voir avec l'inconscient tel qu'il fut invoqué par Freud. Etant admis également que l'inconscient tel qu'il est passé dans les moeurs d'aujourd'hui ne désigne pas non plus l'inconscient freudien. Ainsi sommes-nous en droit de nous demander : y a-t-il eu réellement une 'trouvaille' freudienne ? Si oui, quelle est-elle et comment est-elle arrivée ? À ces deux questions, je tâcherai de répondre dans ce qui va suivre.

Les débuts de la pratique
Les débuts de la psychanalyse et donc de l'hypothèse sur l'inconscient freudien doivent beaucoup à un stage déterminant que Freud effectua à l'hôpital parisien de la Salpêtrière où officiait le très célèbre neurologue Jean Martin Charcot. Cela se passait en 1885. Et à cette époque, dans le milieu psychiatrique l'on remettait souvent sur le tapis de la discussion les causes de l'hystérie[1]. La manifestation polymorphe des symptômes de cette drôle de névrose rendait difficile la probabilité d'une simple affection organique du cerveau comme cause et origine de l'hystérie. Maladie inclassable donc, qui plongeait les malades dans des états particulièrement bizarres et énigmatiques, l'hystérie et ses symptômes physiques - comme la perte de connaissance, le raidissement du corps, les grimaces théâtrales finissaient par trahir aux yeux des psychiatres l'expression d'exagérations et de simulations intentionnelles. D'ailleurs pour "punir" de leur soi-disant- mensonges, ces malades, les psychiatres en vinrent à se désintéresser peu à peu d'eux. Sauf Charcot qui prit par contre leurs cas très au sérieux. Au départ, ce dernier donnait comme cause des symptômes pathologiques de l'hystérie la dégénérescence d'origine héréditaire du système nerveux. Or, comme on pouvait faire apparaître et disparaître les symptômes de ce tableau clinique - surtout les paralysies – lorsque le patient était en état hypnotique, il devint évident que l'origine des symptômes de l'hystérie devait provenir non pas de causes organiques, mais de causes entièrement psychologiques.

Voici ce qu'écrivit Freud à sa fiancée le 24 novembre 1885 : "Charcot, qui est l'un des plus grand médecin et dont la raison confine au génie, est tout simplement en train de démolir mes conceptions et mes desseins. Il m'arrive de sortir de ses cours comme si je sortais de Notre Dame, tout plein de nouvelles idées sur la perfection…La graine produira-t-elle son fruit ? Je l'ignore ; mais ce que je sais, c'est qu'aucun autre homme n'a jamais eu autant d'influence sur moi."

Exalté par les théories de Charcot, Freud décida donc d'ouvrir son cabinet médical, et de pratiquer l'hypnose sur ces patients, cela contre l'avis même des maîtres viennois qui voyaient d'un très mauvais œil les travaux que menait le neurologue parisien. Quelque temps plus tard, même si Freud s'irritait souvent de la précarité des résultats qu'il obtenait dans sa pratique, il put toutefois étudier plusieurs cas cliniques devenus fort célèbres [2] qui le mirent, lui et son ami médecin et psychiatre Breuer, sur la voie d'une très grande découverte pour la nouvelle psychologie : "la cure par la parole", dite aussi la méthode cathartique[3]. En effet, un jour une de ses patientes lui suggéra de la laisser parler librement. Freud accepta, l'écouta et pu ainsi découvrir chez sa patiente que la verbalisation de l'affect et des émotions, jusqu'alors oubliées et que seule l'hypnose permettait de révéler, pouvait lui apprendre tout ce qui était nécessaire de savoir pour pouvoir traiter le problème de sa malade, notamment l'existence du lien entre le traumatisme et les symptômes récurrents.

Freud découvrit qu'en fait, l'hystérie provenait de blessures psychologiques dont l'impression pénible dit aussi affect[4] restait à l'état inconscient pendant de longues années. En clair, l'hystérique souffre de vieux souvenirs traumatiques oubliés et devenus des idées fixes à l'insu même des malades. Comme cause du trauma psychique, il pouvait s'agir par exemple d'une grosse frayeur, de la disparition d'un proche ou de tout évènement pénible survenu dans l'enfance. À un moment ou à un autre, les souvenirs pénibles et oubliés reviennent à la surface sous la forme de symptômes… Le symptôme venant signifier, dans ce cas, la présence de résidus émotifs de tout l'affect bloqué c'est-à-dire non liquidé. Car Freud a montré également quel mécanisme précis présidait à la formation des troubles psychiques et physiques dans la névrose d'hystérie, mais qui est valable également pour tous les gens normaux. En quelques mots, lorsque, chez le malade, l'évènement déclenchant - le traumatisme psychique donc - a pu provoquer ou déclencher chez lui une réaction d'énergie[5], par exemple une crise de larme, ou une décharge de colère ; alors seulement, l'évacuation d'une grande partie de l'affect déplaisant pouvait avoir lieu. Aprés cela, normalement aucun futur symptôme d'hystérie n'auvait de chance de se manifester.
Par contre, si l'affect est resté attaché aux souvenirs, s'il n'y a eu aucune décharge, par exemple si on n'a pas pu se venger, ne fut-ce qu'en paroles - si on a rien pu dire suite à une très grosse déception ou humiliation – dans ce cas, aucun effet réellement cathartique ne saurait être engrangé. Cela signifie que les souvenirs endossant une lourde charge émotive sont susceptibles alors de provoquer l'apparition de phénomènes hystériques.

J'ai fait le choix de faire quelques petits arrêts sur image sur le cheminement de l'étude de l'hystérie - lire pour plus d'arrêts encore le livre "Etude sur l'hystérie" de Sigmund Freud et Joseph Breur, Ed. Puf - car il est clair que ces études ont joué un rôle capital dans la genèse des présuppositions d'idées qui constitueront la base du développement de la psychanalyse. De plus ce cheminement de la découverte des causes de l'hystérie constitue, bien entendu, l'échelon initial de la méthode psychanalytique que Freud mettra au point touche par touche.
Il ne fait aucun doute que la preuve sur l'existence de l'inconscient fut apportée à Freud par l'hypnose. Car si, en état d'hypnose, le malade se souvient d'incidents ou de scènes douloureuses qu'il oublie aussitôt lorsqu'il redevient conscient, cela prouve alors (pour Freud) que l'inconscient existe bien.
L'inconscient freudien est donc l'endroit où sont stockés tous les souvenirs pénibles. Il contient tous les contenus mentaux refoulés, oubliés parce que bannis par l'éducation. Il est tout "le retenu", tout ce que l'on garde en soi. Ce contenu finissant un jour ou l'autre par créer des symptômes[6] ; voilà ce que nous ont appris les premières trouvailles freudiennes.

La découverte du refoulement
Mais les conclusions de Freud font également ressortir le constat suivant : les malades, à l'état de veille, n'ont jamais consenti facilement à livrer leurs souvenirs traumatisants et inconscients. Cela ne manqua pas de suggérer à Freud l'idée qu'il devait exister une force psychique qui cherche à s'opposer à la prise de conscience par le malade de la représentation pathogène, dès lors que l'on essaie de ramener à sa conscience des souvenirs inconscients. "Cette force qui maintient à l'état morbide, on l'éprouve comme une résistance opposée au malade". Freud a appelé ce processus psychique que lui a permis de découvrir l'hystérie "refoulement"
Selon Freud encore, "Les mêmes forces qui aujourd'hui s'opposent à la réintégration de l'oublié dans l'inconscient sont assurément celles qui ont, au moment du traumatisme, provoqué cet oubli et qui ont refoulé dans l'inconscient les incidents pathogènes". En d'autres mots, cette force de répulsion est celle-là même qui s'est manifestée par un rejet lors de la genèse du syndrome.
Il semblerait en dernière analyse, que ce processus inconscient fait à la fois de rétention et de rejet des souvenirs se maintient tant que ce qui doit être su par le conscient ne se passe pas alors que c'est lui-même, le conscient, ou encore ce que Freud à appeler "la censure", qui l'empêche de passer.
Nul doute que l'inconscient de Freud constitue le pire ennemi et adversaire du développement conscient des hommes. Quelle différence avec l'inconscient de Jung, chez lequel les deux, le conscient et l'inconscient existent dans un rapport permanent d'équilibre et de compensation !

L'hégémonie de la sexualité
Enfin, le dernier aspect des découvertes freudiennes d'importance est la question sexuelle. Freud en 1895, a finalement rectifié l'hypothèse d'une origine traumatique de l'hystérie. En effet, les découvertes qu'il réalisa toujours à partir de l'observation de nombreux cas cliniques ainsi que celles qu'il fit au cours de son auto-analyse, l'ont conduit à cesser de voir comme facteur déclanchant des symptômes hystériques des évènements traumatiques banals ; à la place il vit l'intervention d'évènements sexuels. Voici un court extrait de ce qu'il écrivit à son ami Fliess :
"J'ai trouvé en moi des sentiments d'amour envers ma mère et la jalousie envers le père, et je pense maintenant qu'ils sont un fait universel de la petite enfant. Si c'est ainsi, on comprend alors la puissance du roi Œdipe".
Il constata de même chez ses patients, qu'à la source de tout traumatisme psychique on retrouve en général, toujours bien enfouis, des évènements sexuels remontants de la petite enfance.
Freud signale aussi :"A savoir que ce sont les désirs inéluctables et refoulés de l'enfance qui ont prêté leur puissance à la formation de symptômes sans lesquels la réaction aux traumatismes ultérieurs aurait pris un cours normal."
Cette phrase de Freud est très importante, car elle explique qu'en somme c'est parce qu'il existe tout au fond de la personne une vieille tendance au refoulement sexuel que le traumatisme actuel ne peut être liquidé normalement. En somme la source du traumatisme psychique réside pour Freud toujours dans le passé de l'enfance au cours duquel les fixations infantiles et les désirs d'inceste ont pris racine. L'inconscient freudien se trouve toujours mis en rapport avec le passé personnel des malades de même qu'avec un lieu depuis lequel la sexualité semble tout orchestrer d'une main invisible aux yeux du malade. C'est elle, la sexualité qui cause la maladie des hystériques, de même que c'est elle qui constitue un facteur motivant pour le rejet et le refoulement de certaines représentations – que Freud choisit de nommer également la libido interdite car refoulée hors du champ de la conscience. À ce stade du déroulement des découvertes freudiennes, les deux piliers de la psychanalyse étaient posés : la théorie de la sexualité infantile et la théorie du refoulement.

En résumé la vision freudienne fait ressortir que : La vie psychique est gouvernée par des pulsions primaires –parmi lesquelles la sexualité tient une place centrale. Ces pulsions sont gouvernées par le seul principe de plaisir, c'est-à-dire qu'elles ne visent qu'à leur réalisation.. À la petite enfance, le petit garçon manifeste le désir de posséder sa mère et tuer son père dont il est jaloux. Mais cette pulsion se heurte à un interdit, interdit qui se manifeste au niveau du psychisme lui-même sous forme d'une censure. Refoulé dans l'inconscient des désirs latents s'expriment sous des formes détournées à travers les rêves, les actes manqués, ou les mots d'esprits. Si ce conflit entre les pulsions et les forces de répulsion est trop fort, cela produit des troubles névrotiques (hystérie, paranoïa, phobie, etc) -source SH n°113-

Le rejet de l'inconscient
En 1920, Feud propose à nouveau une refonte totale de sa théorie. Ce moment a été appelé la seconde topique. A l'intérieur de celle-ci, il modifie d'abord la théorie des pulsions. Désormais ce n'est plus les pulsions sexuelles (Eros) répondant au principe de plaisir, qui mettent en mouvement toutes l'activité psychique de l'individu ; Freud voit à présent l'action concomitante de Thanatos, la pulsion de mort qui vise la destruction de l'individu et la répétition compulsive des scènes traumatiques.

Il modifiera également sa conception structurale de l'appareil psychique. Il propose d'abord d'abandonner la notion d'inconscient conçue comme le réservoir de tout le refoulé, parce qu'il estime cela trop ambiguë. Il préfère lui substituer le système suivant : préconscient/conscient/inconscient. Le préconscient figure une sorte d'inconscient latent qui se transforme aisément en conscient. Là stationneraient tous les produits de la censure. Alors que l'inconscient proprement dit, dit aussi le ça ou le réservoir des pulsions, ne deviendra pratiquement jamais conscient..

Il continuera néanmoins à apporter d'autres réaménagements à sa théorie, puisqu' à partir de 1923, Freud va souligner qu'on a tort d'assimiler le "réservoir des pulsions" (la libido, l'agressivité, l'auto-concervation ou destruction) à un état mental donné : celui d'être non conscient. Car certaines de ces pulsions primaires sont ou peuvent devenir conscientes. N'est-ce pas justement le rôle de l'analyse de les mettre à jour ? Inversement, certains mécanismes mentaux peuvent être inconscients sans appartenir au registre du pulsionnel. C'est le cas du moi et du surmoi. Qui échappent à la conscience de l'individu. En remplacement de l'ancienne théorie, il propose donc un modèle qui comprend 3 instances : le ça [8], le surmoi [9] et le moi [10] qui peuvent être inconscients ou non.

à suivre...


Notes
[1] Le terme d'hystérie date de la médecine grecque antique, et signifie étymologiquement "utérus". Pour Hippocrate, c'est une maladie liée à une migration de l'utérus dans le corps. Elle affecte plutôt les femmes insatisfaites sexuellement. La médecine du 19ème siècle conserve le vieux terme grec, mais la transforme en maladie de l'encéphale ou des nerfs, c'est-à-dire une "névrose" dans le vocabulaire de l'époque.
[2] Il y eut le cas d'Anna O suivi par son ami le docteur Bleuer, les cas d'Emmy von N, Katharina, Elisabeth Von R, Dora…
[3]Du grec Katharsis : purgation, purification.
[4]L'affect correspond à une souffrance endurée sans riposte possible ;
[5]On dit dans ce cas, qu'il y a "acte d'abréaction". Exemple d'acte d'abréaction = les plaintes, la révélation d'un secret pesant (confessions), réaction par la parole par l'acte, la parole et par les larmes. Si l'abréaction ne se produit pas, l'évènement concerve toute sa valeur affective.
[6]Aujourd'hui quand survient ce type de symptômes, nous parlerons plus volontiers de maladies psychosomatiques.
[7] Selon Freud, dans l'hystérie, et tout particulièrement dans toutes les névroses, les symptômes morbides seraient liés à la vie amoureuse. Mais de cela, les malades n'aiment guère parler : écoutons Freud lui-même nous expliquer cela : "L'attitude des malades ne permet guère, il est vrai de démontrer la justesse de ma proposition. Au lieu de nous aider à comprendre leur vie sexuelle, ils cherchent, au contraire, à la cacher, par tous les moyens. Les hommes, en général, ne sont pas sincères dans ce domaine. Ils ne se montrent pas tels qu'ils sont ; ils portent un épais manteau de mensonges pour se couvrir, comme s'il faisait mauvais temps dans le monde de la sensualité. Et ils n'ont pas tort ; le soleil et le vent ne sont guère favorables à l'activité sexuelle dans notre société ; en fait, aucun de nous ne peut librement dévoiler son érotisme à ses semblables."
N'oublions pas que Freud fit ces remarques en 1893, sous l'influence certaine d'une norme morale qui engonçait fortement la société d'alors par des mœurs presque pas du tout relâchées.
[8] Le ça est le réservoir des pulsions archaïques, c'est un chaos, une marmite pleine d'émotions bouillantes. Et dont les pulsions sexuelles et agressives sont les principales sources.
[9]Le surmoi se forme au cours de l'enfance par l'intériorisation des interdits et des règles morales léguées par les parents.
[10] Le moi joue enfin le rôle d'intermédiaire entre le ça et la réalité.



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