22 mars 2015

Le séminaire de psychologie analytique de 1925

Je signale enfin, la sortie récente (fév 2015) de la traduction en français du séminaire de psychologie analytique tenu par Jung en 1925. En 1925, Jung s’est séparé de Freud depuis longtemps (1912) et vient de terminer "sa magistrale étude des Types psychologiques" ; il n’a pas découvert encore les traités alchimiques qui vont lui permettre de comprendre bien des choses...

Comme l’indique Michel Cazenave, "dans ce séminaire, Jung parle avec simplicité de son équation personnelle – non pas de sa vie en tant que telle, mais de son orientation, de la formation de ses idées sur la psychologie, c’est- à- dire son orientation subjective. Il parle pour la première fois de son type psychologique. Il commence sa présentation en disant qu’il a l’intention de "survoler" "l’étendue du champ" de la psychologie analytique, et esquisse la genèse de ses conceptions personnelles en remontant à l’époque où il était préoccupé par les problèmes posés par l’inconscient". 

Bien plus qu’une introduction, ce livre présente véritablement l’origine et les fondements de son oeuvre expérimentale et artistique. "Ce séminaire peut être considéré comme une présentation expérimentale de la psychologie analysique à la première personne avec son propre "cas clinique" comme exemple le plus clair de ses théroies. Dans ces cours par exemple, il explique comment il a compris plus tard que dans Métamorphoses et symboles de la libido, c’était sa propre  fonction imaginative qu’il avait analysée", fait remarquer très justement Sonu Shamdasani.  

Voici un long extrait du 10ème cours, que j’ai choisi de citer pour son caractère très explicite sur le processus particulier de connaissance à l’oeuvre dans l’analyse jungienne.

"Mais quand nous devenons conscients des opposés, quelque chose nous pousse à chercher la manière de les concilier, car il nous est impossible de vivre dans un monde qui est et qui n’est pas ; il nous faut avancer vers la création d’un troisième terme qui surpasse les couples d’opposés. Peut- être pourrions- nous adopter le Tao et l’Atman comme des solutions pour nous- mêmes, mais uniquement à la condition que ces termes aient signifié pour leurs créateurs la même chose que ce que nos idées philosophiques signifient pour nous. Or, ce n’est pas le cas : le Tao et l’Atman se sont développés, l’Atman hors du lotus, tandis que le Tao demeure eau calme. Autrement dit, ce sont des révélations, alors que pour nous ce sont des concepts qui nous laissent froids. Nous ne pouvons les intégrer comme l’ont fait les hommes de cette époque. Les théosophes ont certes essayé, mais se sont envolés, en se coupant de tout lien avec la réalité. Ces révélations leur sont bien apparues, elles sont sorties d’eux tout comme la pomme pousse sur l’arbre. Pour nous, elles sont la source d’une grande satisfaction intellectuelle, mais elles ne nous aident en rien à concilier les opposés. 

Supposons qu’un patient vienne me voir avec un conflit grave, et que je lui dise : « Lisez le Tao Tê Ching » ou bien "Remettez vos souffrances entre les mains du Christ. " C’est un conseil merveilleux, mais qu’est- ce que cela apportera à ce patient dans la résolution de son conflit ? Rien. 

Bien sûr, ce que le Christ représente fonctionne pour les catholiques et en partie pour les protestants, mais ça ne fonctionne pas pour tout le monde ; et la plupart de mes patients sont des personnes pour lesquelles les symboles traditionnels ne fonctionnent pas. Lorsque l’élan créateur est présent, c’est- à- dire quand le processus en cours a la qualité d’une révélation, alors notre chemin est univoque. 

L’analyse devrait permettre de faire l’expérience de quelque chose qui nous saisit ou s’abat sur nous, une expérience qui a du corps et de la substance, comme ce qui arrivait aux anciens. Si je devais choisir un symbole, ce serait celui de l’Annonciation. Il en a été bouleversé au plus profond de lui. 

Il me revient à l’esprit un autre cas semblable, celui d’un homme qui buvait. Un soir, il rentre chez lui après une bringue carabinée, ivre mort. Il entend des gens banqueter à l’étage, et s’en réjouit. À cinq heures, il va à la fenêtre voir d’où vient ce grand tapage. Il habitait une allée avec des sycomores devant sa fenêtre. Il voit alors se dérouler une foire aux bestiaux, mais avec tous les porcs dans les arbres. Il pousse un grand cri pour attirer l’attention sur eux, et la police l’a emmené à l’asile. Quand il a compris ce qui lui était arrivé, il s’est arrêté définitivement de boire. 

Dans ces deux cas, l’aspect de réalité de la représentation a déclenché une peur énorme, et, bien que les exemples soient grotesques, ils illustrent néanmoins le point que je voulais souligner, à savoir que, pour que la représentation libératrice soit efficace, elle doit avoir un caractère archaïque. Elle doit être physiquement vraisemblable, c’est- à- dire qu’elle doit faire totalement partie de nous. On sait qu’il n’existe aucune méthode pour forcer ce genre d’événements, mais il existe une multitude de méthodes dans le monde qui mettent l’esprit en condition pour faciliter le contact avec la vérité immédiate. 

Le yoga est l’exemple le plus remarquable parmi ces méthodes. Il y a plusieurs sortes de yoga, certaines qui utilisent la respiration, les exercices, le jeûne, etc., et d’autres comme le yoga de la Kundalinî, qui est une sorte d’entraînement sexuel de caractère un peu obscène. La sexualité est utilisée car c’est un stade instinctif et donc fiable pour induire des états favorisant l’apparition de ces expériences immédiates. Toutes ces méthodes de yoga, et les pratiques similaires, permettent de provoquer les conditions souhaitées, mais seulement, pour ainsi dire, si Dieu le veut ; en d’autres termes, cela implique un autre facteur nécessaire, dont nous ignorons la nature.Toutes les pratiques primitives doivent être comprises comme un effort de l’homme pour se rendre réceptif à ce que la nature cherche à révéler".

15 mars 2015

Femmes, le sexe gagnant ?



Une version de cet article revu, corrigé et mieux expliqué est ici



L’émancipation des femmes depuis les six dernières décennies s’est montrée spectaculaire. Bien plus actives et visibles qu’hier, les femmes modernes ont beaucoup gagné en autonomie, indépendance, compétence, prestige et initiative. Malgré cela, la question du féminin dans la femme est loin d’être réglée.

Comme l’écrivait Jung[1], les femmes "ne peuvent échapper à la réalité que voici : les femmes embrassent une profession d’homme, elles étudient et travaillent à la manière des hommes et font ainsi quelque chose dont le moins qu’on puisse dire est que cela ne correspond pas entièrement à leur nature de femme. Quand on vit ce qui est le propre du sexe opposé, on vit en somme, dans son propre arrière plan, et c’est l‘essentiel qui est frustré. L’homme devrait vivre en homme et la femme en femme".

Eros, l’Eros différencié précisément, représente le principe de relation, autrement dit pour la femme, son potentiel de relation réelle reposant sur le sentiment vrai. "La femme sait de plus en plus que l’amour seul lui donne la plénitude de développement, de même que l’homme commence à saisir que l’esprit seul donne à sa vie son sens le plus noble et tout deux, au fond, cherchent le rapport spirituel qui les unira, parce que l’amour a besoin, pour se compléter de l’esprit et l’esprit, de l’amour".  

En adoptant une attitude masculine dans leur travail, les femmes frustrent leur propre nature féminine. La nature féminine dont il est question ici n’a rien à voir avec les caractères que l’on attribut habituellement aux femmes tels que  le charme, la douceur, l’amabilité. La nature féminine de la femme correspond à ce qui vient de l’inconscient de l’homme (l’anima), et qui ressort dans son humeur et ses émotions puériles ou naïves. Chez la femme, les émotions ne viennent pas de son inconscient mais de son propre être conscient ; car ce qui intéresse la femme ce sont toujours les relations humaines.

"Les caractéristiques d’une femme c’est de pouvoir tout faire par amour pour un être humain", fait remarquer Jung.  Lorsqu’une femme mène des activités par amour pour les choses, et c’est ce qu’elle fait dans son travail cela signifie qu'elle vit en homme. "L’amour des choses est une prérogative masculine". Ce constat évident rappelle que la psychologie de la femme repose sur le grand Eros. "Eros est un principe spirituel ou psychologique, ou en termes d’autrefois une divinité. Etre attaché à ce principe suppose qu’on s’oriente vers ce qui transcende les buts et les ambitions individuels[2] ".

Ce que la femme moderne comprend mal c’est qu’en sacrifiant son Eros et elle le fait inconsciemment certes,  elle renforce le pouvoir de son animus, ou son attitude masculine inconsciente. L’animus chez la femme s’exprime par des certitudes unilatérales, des opinions radicales et bornées. Tout ce qui irrite au plus haut point l’homme et qui l'incite à rester bien éloigné d'elle. Je rappelle que le nombre de femmes qui vivent seules dans nos sociétés modernes ne cesse de progresser.

Pour comprendre l’importance de la réalisation de son Eros, la femme a besoin, comme l’indique Jung que l’homme s’aventure sur le terrain de ce qu’il répugne le plus : à savoir son propre féminin inconscient, autrement dit le spirituel, l‘inconscient, ou tout ce qui lui paraît flou, trop psychologique, érotique (confondu souvent avec la sexualité). L’homme préfère, hélas s’en tenir à la froide logique ce qui n’arrangent guère les affaires de la femme. Or, en ne développant pas un peu son éros, il n’aidera guère la femme à mieux comprendre et à récupérer sa part de féminité naturelle perdue. En attendant – que l’homme s’avance sur cette voie – et s’il ne fait rien, il faut s’attendre à ce que la femme continue à s’appuyer sur son animus comme le fait traditionnellement une épouse sur son époux, et donc reste soumise à sa toute puissance,  car la nature de la femme c’est aussi d'être dépendante. Dit autrement,  "son animus continuera à posséder son moi féminin"[3].

Ainsi, le progrès vers l’autonomie sociale réalisée par la femme d’aujourd'hui, qui est apparue sous la contrainte de faits économiques principalement "n’est cependant qu’un symptôme et non le point de l’affaire", complète utilement Jung, Mais un symptôme n’indique t–il pas toujours une possibilité de guérison ?

[1] Problème de l’âme moderne  – La femme en Europe – Jung
[2] Les mystères de la femme – Esther Harding
[3] La femme et son ombre – Silvia Di Lorenzo

01 mars 2015

Le motif vrai de la névrose


En réaction à la psychanalyse, de nombreuses thérapies se sont développées depuis les années 60.  L’impératif d’efficacité qu’impose le modèle médical scientifique actuel a promu au plus haut rang les  thérapies comportementales et cognitives (TCC). 

Traitement court, ciblé, formalisé, les thérapies cognitives tentent de corriger les schémas de pensées pathologiques. Tout le contraire d’une psychanalyse qui vise une transformation du patient en profondeur, non dirigée et sur la durée,

Il existe toutefois une différence de taille à l’intérieur même des thérapies inspirées par la psychanalyse. Si la psychanalyse de Freud, cherche à expliquer le présent en questionnant beaucoup le passé (en priorité les fantasmes pervers et infantiles) la psychanalyse jungienne reste, elle, centrée dans l’actuel. En ce sens, elle se trouve plus proche de la démarche cognitive.

Dans son ouvrage La guérison psychologique Jung souligne "le motif vrai de la névrose, c’est dans l’actuel qu’il faut le chercher, la névrose existant et s’épanouissant dans le présent. Elle est entretenue et même en quelque sorte récréée à nouveau".

La névrose sous entend Jung, surfe sur la tension des contraires nécessaire à la vie, laquelle existe et se renouvelle éternellement. Les TCC ont très bien identifié ce processus répétitif dans la cognition que restituent  les symptômes jadis qualifiés de névrotiques (dépression, anxiété, obsessions). Là s’arrête la comparaison ; car la vision jungienne appréhende les symptômes de la névrose non comme une répétition vide de sens pour le Moi, mais comme une possibilité de guérison, ou de faire entrer la partie de notre personnalité emprisonnée, interdite, honteuse, voire parfois dissociée.

"Ce que le malade doit apprendre, écrit Jung, ce n’est pas comment on se débarrasse d’une névrose mais comment on l’assume et la supporte. Car la maladie n’est pas un fardeau superflu et vide de sens, elle est nous-mêmes en tant qu’ "autre" qu’on cherche à évincer par exemple par des désirs infantiles de commodité, ou par peur ou par tout autre motif. De la sorte, on fait du « Moi" comme Freud dit excellemment "un antre de peur"qu’il ne serait jamais devenu si l’on ne se défendait pas névrotiquement contre soi- même. 

Lorsque le moi est un "antre de peur" c’est que l’individu s’enfuit devant lui même sans en rien vouloir connaître. La technique corrosive de la psychanalyse (freudienne) qui déprécie et lacère la fibre humaine s’attaque en premier lieu à cet autre aspect de notre personnalité, que nous portons en nous et que nous craignons ; elle espère paralyser de façon durable cet adversaire. On ne doit pas chercher à annihiler une névrose ; on doit s’efforcer d’apprendre ce à quoi elle vise, ce qu’elle enseigne, sa signification et son but. Il faut même apprendre à lui être reconnaissant, sinon l’essentiel échappe et l’on a manqué l’occasion de connaître ce qu’on est en réalité. Une névrose n’est réellement réduite que lorsque l’évolution thérapeutique a liquidé la fausse attitude du moi. Ce n’est pas la névrose qu’il s’agit de guérir, celle elle qui nous guérit. Lorsque l’homme est malade, la maladie représente la tentative de la nature de le guérir".

Peut être que nous les thérapeutes, devrions-nous plus souvent interroger la présence de fantaisies, imaginations et troubles divers, les tenir comme représentants et témoins de ce que le Moi désire fuir, fuir du Soi ou de sa totalité. Il est plus facile et rapide, certes, de chercher à appliquer une technique pour résoudre un problème, diminuer des symptômes. Mais n’est-ce pas entretenir également la fuite en avant chez les patients ? De plus, une technique ne pourra jamais remplacer la personnalité du thérapeute, capable en grande partie, de mettre en ordre ce qui doit l’être chez les patients quand le thérapeute lui même est déjà mis en ordre.