19 mars 2013

Du concept de libido dans Métamorphose de l'âme et ses symboles


Dans son livre, Métamorphose de l'âme et ses symboles, Jung de toute évidence ne se résout pas à penser comme Freud au sujet de la nature toute sexuelle de l’énergie psychique. La rupture déclarée relative à sa divergence de vue avec Freud figure dans son texte "Du concept de libido".  Dans cet écrit, il jette une lumière explicative sur sa propre conception de la libido, posant ce faisant, les bases de la psychologie analytique.


L’inflation conceptuelle de Freud

Regardons en premier lieu sur quoi s’exprime son opposition à la conception de Freud. C’est sur l'évocation des causes possibles de la schizophrénie que porte son désaccord.  Il rappelle les idées nouvelles que développe Freud à propos de l’étude des troubles paranoïdes. Ce dernier se demandait dans une de ses publications si dans la schizophrénie, il fallait incomber à la perte de l’intérêt en général, la disparition de la réalité, ou bien s’il fallait l’incomber à la perte de l’intérêt érotique. Finalement Freud a choisi d’incomber la perte du réel à la libido seule. En clair, pour Freud, le schizophrène a perdu tout contact avec le monde extérieur parce que sa libido a disparu, c’est-à-dire qu’elle s’est retirée dans le moi. Pour Jung, il ne peut pas en être ainsi. En ce sens où  "la libido ne peut pas expliquer toute la perte de relation avec le monde extérieur". Dans une telle éventualité, il faudrait en conclure que toutes nos relations au monde sont marquées par la libido, donc par de l’érotisme. Jung rappelle encore, que la libido ne peut pas être une fonction sexuelle, car si elle l’était alors dans la névrose, l’introversion de la libido déboucherait sur la schizophrénie ; Or dans les faits, ce n’est pas du tout ce que l’on observe : le névrosé ne présente pas de disparition de la fonction du réel.

Pour Jung, dans la schizophrénie, il manque "beaucoup plus que ce que l’on pourrait appliquer aux relations érotiques". Ce qu’il manque "c’est une masse importante de fonctions qui servent à entrer en contact avec le réel". Et qu’en conséquence, les troubles fonctionnels constatés chez le schizophrène touchent tout autant le domaine des autres tendances que celle de la sexualité.


La libido : une conception vitaliste

Sans conteste, Jung refuse de distinguer libido et instinct du moi. Car si nous faisons cela, alors nous serons tenter de voir les choses à la manière  de la biologie qui oppose l’instinct de conservation de l’espèce à celui de conservation de l’individu. C’est d’ailleurs ce que fit Freud dans sa première topique, dans laquelle il opposa la libido et la faim. Or souligne Jung, ce n’est pas du tout ce que l’on observe dans la nature : "dans la nature on n’observe seulement un instinct de vie continu  qui par la conservation de l’individu permet de perpétuer la propagation de toute l’espèce".

La manifestation observable d’un instinct unitaire et continu dans la nature conduit Jung à faire une mise en parallèle de la libido et de la Volonté – de Schopenhauer (1). La volonté, chose en soi pour ce philosophe est absolument différente de son phénomène. Transposons cette idée à la libido : l’appetitus, l’envie, le désir, désignent un phénomène, un observable, un mouvement  vers  la faim, la sexualité, la soif… Toutefois ce qu’il y a au fond de l’appetitus, "nous ne le savons pas", écrit Jung, "Pas plus que nous ne savons pas ce qu’est en elle même la psyché".

Nous pouvons constater que Jung a finalement affiché très tôt son intérêt pour l'irrationnel, un domaine que Freud fuyait comme la peste, mais, il est loin d'être le seul.

Jung propose donc de considérer à égalité toutes les tendances – sexualité, faim, soif…
La libido étant la tendance à l’état naturel ; elle est l’énergie du « tendre vers » des tendances. Sur les instincts humains – dits les tendances d’un point de vue psychique - nous ne pouvons pas en dire grand chose. C’est pourquoi, Jung trouve osé de la part de Freud d’accorder le primat à l’un d’entre eux. Comme les tendances pour Jung sont égales, ce dernier préfère utiliser un concept énergétique, un concept neutre, une valeur énergétique qui peut se communiquer à un domaine quelconque : la sexualité, la faim, la religion, la puissance… Comme le disait Schopenhauer "la volonté ou la chose en soi, est complètement indépendante de toute les formes du phénomène, en lequel cependant elle pénètre".
Et c’est sans doute ce parallélisme psycho-philosophico vitaliste entre  la Volonté et la libido qui a conduit Freud, plus tard Lacan et bien d’autres à qualifier le concept jungien de libido de moniste.

Dans le prochain billet je parlerai des images mythologiques qui représentent l’expression de cette force créatrice indifférenciée en soi.




(1) Le Monde comme volonté et représentation - Schopenhauer

6 commentaires:

  1. Anonyme2:46 AM

    Bonjour,

    Après vous avoir lue, Isabelle, je tente de me résumer tout cela en l'imageant d'une façon qui me parle, au risque, peut-être, de tomber dans le travers d'une simplification abusive :
    On dit d'une personne qui meurt qu'elle va rendre son dernier souffle, ce qui s'entend sur le plan physique de la respiration. Mais on pourrait l'entendre aussi sur le plan de l'énergie psychique qui est comme un vent soufflant tour à tour ou simultanément dans les différentes voiles de notre petit navire individuel et lui donnant son mouvement de vie perceptible. Lorsque ce vent n'y souffle plus, nous sommes morts. Le désir (appetitus) tendant à l'obtention de ceci ou de cela ne serait bien qu'un effet produit par ce "vent psychique" qui fait gonfler telle ou telle des voiles gréant notre petite embarcation de vie. Chacun a-t-il, et dans quelle mesure l’aurait-il, la capacité à mener sa barque de son mieux, bordant serré telle voile, choquant (relâchant) telle autre voile qui lui semblerait trop prendre le vent... ?

    Amezeg

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  2. Bonjour Amezeg

    Une image est parfois bien plus parlante qu’un long discours ;-)) Merci de l’avoir donnée Amezeg !

    Si j’utilise comme vous la métaphore de l’embarcation à voile, alors je dirais que Freud proposait de ne considérer dans l’étude de la réalité psychique humaine qu’un seul type de vent, ou de force, les forces sexuelles donc. Alors que des vents, comme il en va des instincts, ils sont nombreux ! Mais surtout – et c’est ce que j’aurais dû préciser dans mon billet - voir le libido ainsi que le fait la psychanalyse freudienne revient à réduire considérablement l’étendu et les possibilités de "notre embarcation psychique" (notre réalité psychique donc). Les idées nouvelles de Jung datant de l’époque où il écrivit son texte dans Métamorphose, préfigurent bien sûr sa future conception de l’inconscient qu’il percevait bien plus que personnel.

    J’aime beaucoup votre image du souffle pour traduire l’énergie neutre. Autrement dit le souffle du vent, pour l’énergie de l’instinct, souffle dans notre être, ou ce qui fait effet de force, effet de sens en soi.

    Enfin, la question que vous vous posez à la fin de votre commentaire me fait penser au problème de l’adaptation. C’est nouveau pour moi de considérer cette question par ce biais, la métaphore du bateau à voile. Mais pourquoi pas. Je crois et je comprends dans l’utilisation de l’image que vous faites du vent qui gonfle les voiles qu’en fait les voiles représentent les symboles, les images, les objets, dans lesquels s’engouffre le vent, ou les vents et donc la libido ; Et il me semble que pour parvenir à bien " mener sa barque", il faudrait choisir le bon gréement ou autrement dit faire appel aux bonnes images et symboles ; peut être qu' ainsi notre embarcation parviendra à bien glisser ;-) Donc trop réduire ou trop augmenter la voilure peut conduire à un problème d’adaptation. La bonne progression de la libido pour Jung c’est précisément quand le vent et le gréement, je dirais, travaillent en harmonie. Mais bon, là j’anticipe un peu sur les futurs billets dans lesquels je compte développer tout cela.

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  3. Comme tout ce qui concerne Jung, je te lis avec beaucoup d'intérêt. C'est très clair et je te remercie car chaque nouveau travail apporte sa pierre. Pour ce qui est d'apporter des idées intéressantes et de débattre je fais confiance à Amezeg. Amitiés.

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  4. Merci pour ton soutien chère Ariaga !

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  5. Voilà un thème porteur d'échos , tel notre sillage à fleur d'émaux ;)
    ~
    http://drenagoram4444.wordpress.com/sillage/

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  6. Je trouve vos poèmes savoureux, somptueux et magiques ! Vos mots spontanées et bien placés font claquer le beau vivant des doux sillons dorés de l'âme humaine. Vous êtes un habile tailleur d'images-mot, d'images-libido de l'âme alors que moi je sonde (enfin j'essaie!) ses bobos sous le réverbère douillet et dés fois bien trempé de l'inconscient ! Bref je crois que je vais souvent venir lire les feuilles de votre chant d'hors réenchanteur !
    Merci de votre visite Néo

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