L’ouvrage « Présent et avenir »
contient en condensé la pensée sociale et politique de Jung. Ecrit vers la fin de sa vie, Jung nous livre une analyse psychologique de la difficulté à concilier l’individuel et le collectif d’où
il en résulterait les préoccupations d’ordre morales et religieuses qui touchent
le monde moderne.
Comme réponse à ces difficultés concrètes, Jung propose la
voie de l’individuation.
"Le problème d’arriération morale dont est frappé
l’humanité" que
Jung examinait déjà à son époque semble causalement similaire à la notre. Ce qui
change c’est seulement sa forme. Les évènements tragiques de début janvier me
paraissent reprendre la même défaillance, c’est-à-dire le même déséquilibre, la
même méconnaissance de l’âme individuelle. Une rengaine que je vais tenter en
quelques lignes de sruter à la lueur de la lumière qu’allume l’ouvrage de Jung.
Ce qui
revient
Une fois de plus, le projet humaniste, issue de
l’ère des lumières visant à civiliser
l’homme et cimenter le vivre ensemble grâce aux certitudes laïques,
scientifiques, progressistes, critiques et raisonnables ne tient plus, ne rayonne
plus et vient d’être entayer profondément (l’assassinat de l’équipe de Charlie
Hebdo). Avec les attentats meurtriers de début janvier, l’idéal occidental a reçu
à nouveau un sacré coup dur et s’affiche encore impuissant à juguler le fanatisme
religieux, la barbarie, l’arrièration morale.
Déjà lorsque Jung écrivait son
Présent et avenir, après l’épouvante des deux guerres mondiales et de la Soah, la
volonté civilisatrice des nations occidentales avait gravement failli à cette
tâche.
Pourquoi le monde occidentale malgré tous les
beaux idéaux qu’il prône et défend ardemment échoue t-il à apporter paix et
bonheur aux hommes ? Les formes et
modèles d’organisation suivis, hier le communisme, aujourd’hui le capitalisme,
pour ne citer qu’eux, conduisent au pire en voulant faire le bien (les
inégalités par exemple pour le capitalisme).
Trop d'extériorisation
L’extérieur, le monde, les
idéaux, les autres, ne peuvent pas tout apporter à l’homme ; les gens en deviennent de plus en plus
conscients. Mais beaucoup de chemin reste à faire encore Car il reste toujours
plus de personnes qui cherchent à se mettre en conformité avec le monde
extérieur et ses objets, à démontrer leur adhésion à la pensée régnante ou bien
à son contraire, à obtenir du monde extérieur du bonheur ou à espérer de lui
qu’il endosse la responsabilité de leurs malheurs.
Or force est d’admettre que
les vaines extériorités barrent la route à l’expérience intérieure immédiate.
Elles empêchent de rendre conscient l’homme de son âme propre. Le seul endroit où
il peut espérer trouver le changement et se sentir en paix, tout cela en se
mettant en conformité avec lui-même.
Pour en revenir à notre problème
d’arriération morale dont est frappée l’humanité, l’homme à force de stagner dans
de vaines extériorités, semble passer à côté du seul facteur décisif occasionnant
toujours le retour de la barbarie : la réalité de la vie psychique
complexe de l’homme.
Tout est psychique
L’homme résiste à admettre ce
qui pour lui, n’est que du vent ou que de l’irrationnel : le psychique.
Pourtant tout pour ainsi dire dépend de
la psyché humaine et de ses fonctions et personne ne peut nier que "sans
la psyché le monde n’existerait pas, en tout cas le monde des hommes".
"La psyché devrait donc nous sembler digne de la plus haute attention, en particulier à notre époque où tout
l’avenir, ses bonheurs et ses malheurs, dépend non
de la menace exercée par les animaux sauvages, les
catastrophes de la nature ou le danger d’épidémies
universelles, mais uniquement des mouvements psychiques des hommes. Il suffit
d’une perturbation dans l’équilibre de quelques-unes de ces têtes qui mènent le
monde pour le plonger dans le sang.
Les trois jihadistes français
des derniers attentas parisiens offrent un exemple de ce qui peut arriver, quand une
tête privée de certaines fonctions psychiques essentielles intérieures au
sujet ne sont plus contenues et contrôlées par rien. De l’état psychique de
certaine personne, (contagions ou infections psychiques) dépend le monde, voire la fin du monde et non le contraire,
mais il est toujours plus facile d’incriminer des objets extérieurs. L’Islam[1],
l’Etat, les circonstances sociales et politiques, l’éducation défaillante.
La responsabilité revient
encore à la tendance excessive à extérioriser. "L’homme d’aujourd’hui
colle encore tellement à l’objet extérieur qu’il rend ce dernier exclusivement
responsable comme si c’était des objets que dépendent les décisions ».
Cette tendance à extérioriser provient sans
doute d’une trop grande méconnaissance (ou peur de la connaissance[2]
) de la psychologie de l’homme.
L’homme est un microcosme
Lorsqu’on extériorise moins,
on perçoit soudain que le monde ne
sert pas à apporter par exemple du bonheur ou moins de barbarie, on comprend
plutôt que c’est la psyché humaine qui produit le monde et ce que l’on n’y trouve.
Suivant la notion qui
avait cours au moyen âge, "l’homme est un microcosme pour ainsi dire une
image en réduction du grand cosmos". L’observation du monde sert alors à
nous renseigner sur l’état psychique de l’homme. Les dissociations observables dans le monde : savoir-croyance, laïcité et religion reproduisent les
mêmes conflits qui s’observent dans les névroses individuelles.
La barbarie,
sorte de retour du refoulé, continuera d’exister tant que l’on ne traitera pas par
exemple de l’existence réelle de l’ombre présente à l’intérieur de l’homme.
Les
valeurs laïques et républicaines, aussi belles et indispensables qu’elles soient
notamment pour la construction de la conscience du moi, ne représentent-elles
pas peu de poids face au déchainement émotionnel, froid et violent des fous de Dieu ?
La pensée des lumières ne s’est-elle pas constituée par l’expulsion de l’irrationnel
et de la croyance religieuse ? On a
tendance à oublier que les facteurs expulsés contenues dans l’esprit humain, sont
aussi porteurs de vie, de forces, et représentent donc des fonctions, c’est à
dire des énergies archétypiques (de la
libido) qui attendent d’être transformées. Transformées grâce aux symboles. La foi chrétienne en contient de très nombreux susceptibles de pouvoir nous éclairer sur la voie de la transformation individuelle. Mais hélas, la religion chrétienne repose, dans l’esprit des gens, principalement sur un système de croyance et non sur une expérience intérieure personnelle (la fonction religieuse).
La nuisance de la masse
Pour Jung, l’influence
collective, la puissance de l’Etat, la masse organisée[3] qu’elles viennent de l’Etat ou des religions institutionalisées
sont nuisibles[4]
pour l’homme car elles plombent et retardent la croissance de l’individu, la
croissance de l’intégration justement des tendances psychiques inconscientes
latentes. L’homme est avant tout cet
être unique “porteur de vie.” L’influence collective empêche la realisation de
l’homme lui même, par ce qu’elle “comporte de tendances au nivellement et de
finalité matérialiste”. De plus l’adhésion de l’homme à la masse implique nécessairement
l’engagement de sa fonction religieuse, mais sans que ce dernier en soit
conscient. Ce qui complique sérieusement les choses.
Pour pouvoir s’en sortir, pour pouvoir
réconcilier l’individuel et le collectif, le passage par l’homme intérieur devient incontournable. Ce lieu où l’immédiateté intime vécue est possible. Experience intime et personnelle en presence d’un autre, et qui constitue l’être individuel dans et par une relation à dieu, c’est à dire une
relation avec les energies archétypqiues en lui (la libido). Car s’unir c’est
se dissoudre, et pour que cela n’arrive pas en présence du monde extérieur, il
faut pouvoir disposer d’une individualité indivisible, le soi, comprenant un moi affermi uni à la psyche
naturelle, autonome et objective. En d’autres mots, cela revient à suivre la
voie de la psychologie des profondeurs menant à l’individuation.
[1] Le fantisme nest pas né
avec les réligions, et notamment l’Islam. Que l’on pense aux sacrifices humains antiques, aux conversions forcées...
[3] La mondialisation
d’aujourd’hui traduit très bien les masses et leur puissance écrasante pour
l’individualité.
Un article important en ces temps tourmentés. Merci.
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