Du progrès extérieur à l’éveil intérieur : pourquoi la conscience est décisive
Dans le monde extérieur, le progrès est facilement visible.
Il se manifeste par l’acquisition de biens matériels, la construction d’une famille, l’accès à une sécurité, à un statut, à une vie concrète et organisée. Ces formes de réussite sont tangibles, mesurables, socialement reconnues.
Mais le monde intérieur obéit à une tout autre logique.
Dans la psyché — qu’il s’agisse de l’inconscient individuel ou de l’inconscient collectif — il n’y a pas d’objets visibles. Ce qui peut y éclore, ce n’est pas d’abord du concret, mais de la conscience. Et avec elle : l’amour, la spiritualité, les valeurs, le sens, les hautes aspirations de l’âme. Tout ce qui ne se voit pas, mais qui se ressent profondément.
Avant le développement de la conscience, le monde intérieur est obscur.
Jung parlait à ce propos de la lumière de la nature : une lumière qui n’est pas donnée d’emblée, mais qui émerge lentement depuis un point central, un point de base à partir duquel peuvent se déployer les sentiments, la pensée et la conscience — le moi.
Encore faut-il que ce développement ne soit pas entravé, par exemple par une famille profondément dysfonctionnelle, des traumatismes précoces ou un environnement qui empêche la vie psychique de s’organiser.
Or Jung l’affirme sans détour :
« Lorsqu’il n’y a pas de conscience, rien ne va. »
(Psychologie analytique et conception du monde).
Sans le développement de la conscience, l’adaptation au monde extérieur reste superficielle, fragile, parfois illusoire. La vie peut sembler fonctionner, mais quelque chose d’essentiel demeure désorganisé dans l’ombre.
Conscience, sentiment et Éros
La conscience ne surgit pas dans le vide.
Elle se construit sur une base affective : le sentiment, et plus précisément le sentiment de valeur. C’est là qu’intervient Éros, compris non comme simple désir, mais comme principe de lien, de relation et de reconnaissance de valeur.
Sans le sentiment de valeur, le monde perd sa boussole.
Il n’a plus de visage humain, plus de profondeur éthique, plus de sens véritable. La nature, en elle-même, est à la fois animale et humaine — à l’image du centaure. Sans transformation psychique, l’instinct brut demeure ; avec la conscience, il peut être humanisé.
C’est pourquoi les valeurs sont essentielles à l’émergence d’une civilisation.
Elles ne sont pas de simples constructions morales : elles sont portées par les grands thèmes archétypaux de l’humanité, qui condensent la mémoire vivante de ce que l’humain a peu à peu élaboré pour se dégager de la seule loi de l’instinct.
Ces archétypes existent à l’état de préformations psychiques.
Ils attendent d’être activés, développés, incarnés à travers les rencontres, les relations, les expériences de vie. Or toute relation véritable mobilise Éros et le sentiment de valeur. On devient humain au contact des autres : par le développement de l’empathie, des représentations mentales, du sens de l’altérité.
Mais cette empathie peut être aussi bien prosociale qu’antisociale.
La psyché est capable de produire le meilleur comme le pire.
Le danger de la vie de surface
Le pire persiste lorsque l’on reste à la surface des choses.
Lorsque la quête de vérité est évitée — une vérité qui inclut la vie affective et le travail du sentiment — on se réfugie dans les réalisations visibles : le travail, la performance, les loisirs, les plaisirs, les prouesses intellectuelles.
On a exalté les Lumières du XIXᵉ siècle, mais on a souvent oublié une autre lumière : celle qui doit se développer dans la nature intérieure de la psyché, initialement obscure et invisible. À défaut, on s’accroche à une morale de façade, croyant qu’elle suffira à contenir le retour de l’animal en nous. Or c’est une illusion.
Ce n’est pas par des règles extérieures que l’instinct est transformé, mais par le développement de la conscience.
C’est dans la psyché que se joue ce qui peut être apprivoisé, humanisé, symbolisé.
Quand la conscience ne se développe pas
Il suffit d’observer la réalité intime des vies humaines pour le constater :
beaucoup souffrent profondément, et les pires barbaries continuent de se produire dans les lieux mêmes censés être protecteurs — familles, couples, sphère privée.
Les violences, les abus, l’inceste, le viol montrent ce qui advient lorsque l’animalité psychique n’a pas été transformée.
On s’étonne alors : « Il était pourtant si gentil, si intelligent… comment a-t-il pu commettre cela ? »
Justement parce que le travail de la conscience n’a pas eu lieu.
Et pourtant, on parle peu de la conscience elle-même.
Les sciences humaines parlent du « sujet », de la construction du sujet, rarement de l’émergence de la conscience comme processus vivant et transformateur.
Mythes, symboles et transformation
Or, les chemins vers la conscience existent depuis toujours.
Les mythes, les symboles, les rites sont autant de jalons qui indiquent les étapes du devenir de la conscience. Ils montrent les passages possibles, les transformations de l’animal vers l’humain, et de l’humain vers le spirituel.
Ils rappellent une vérité essentielle :
la psyché peut produire de la conscience — et la conscience peut transformer la vie.
Là où la conscience s’éveille, la vie peut enfin devenir humaine.
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