16 août 2025

Poutine nostalgique d’Ouroboros’land



J’ai lu ce matin dans les journaux que la tentative de Trump pour négocier une trêve avec Poutine a échoué. Son entêtement à vouloir continuer la guerre m’a inspiré ce texte :

 

Vladimir Poutine ne pense pas seulement en stratège : il agit comme une figure mythologique. Comme l’Ouroboros, le serpent qui se mord la queue, il rêve d’un cercle clos où rien ne doit lui échapper. L’Ukraine, la Géorgie, les anciennes républiques soviétiques : autant d’“enfants” qu’il veut réabsorber pour préserver l’illusion d’un corps indivisible.

 

On retrouve chez lui la logique d’Ouranos qui refusait à Gaïa d’accoucher, ou de Chronos qui avalait ses enfants par peur d’être détrôné. C’est le vieux père dévorateur, plus archaïque que politique, qui préfère étouffer la vie plutôt que d’affronter la séparation.

 

Mais, comme toujours dans les mythes, le cercle finit par se briser : l’histoire ne se laisse pas enfermer dans un parc à thème impérial. Poutine est nostalgique d’Ouroboros’land — un Disneyland de l’archaïque, où l’on s’illusionne en croyant que l’on peut arrêter la naissance du nouveau.

 

Il s’agit du combat éternel entre les forces de vie et celles de destruction. Espérons que les forces de différenciation ou de vie triompheront. Ce serait la version la moins désastreuse, car, même si les forces de la mort ouvrent sur un avenir nouveau, puisque la vie ne peut jamais disparaître, cela reste l’option la plus chaotique et la plus meurtrière pour les êtres humains.

 

Voici une autre réflexion qui me vient à l’esprit, ne sommes-nous pas de simples pions devant les forces archétypales ? Et pourtant, les desseins de ces puissances ne peuvent être accomplis qu’à travers les actions humaines. Dans la mythologie, les divinités ne font-elles pas subir leur colère aux mortels qui transgressent leurs lois et leurs règles ?  Ce temps, antérieur à la différenciation, ne semble pas avoir totalement disparu. Il demeure, toujours inconscient, dans la psyché, soit sous la forme de fantaisies, soit dans le monde sous celle de propagande.

 

Enfin, l’entêtement non moins fort et très puéril de Trump à vouloir à tout prix obtenir le prix Nobel de la paix a de quoi nous inspirer aussi une Disneyland City de lui-même !

Sa Disneyland City n'est pas un lieu de réconciliation, mais un théâtre narcissique ; un empire de carton-pâte où la gloire personnelle est érigée en diplomatie.

Face à lui aussi, nous mesurons combien la politique moderne est travaillée par des archétypes anciens : le roi enfant, capricieux et joueur, qui veut que tout l’univers soit son propre terrain de jeu…

23 juin 2025

La souffrance de l'humanité


Je voulais vous parler de la souffrance en lien avec la psychologie des profondeurs. Mais il m’est difficile de le faire sans évoquer d’abord l’épidémie de souffrance humaine collatérale que l’actualité place sous nos yeux. 

Ce que je vois dans le monde me glace : toute cette violence qui tue et détruit, au mépris des populations — que ce soit à Gaza, en Ukraine, en Iran maintenant… et dans bien d’autres lieux, hélas, à travers le monde.  
La souffrance existentielle, collective et collatérale submerge tout — y compris la vie individuelle. 

En tant que psychologue, j’ai le sentiment que la subjectivité de chacun est piétinée, écrasée sous le poids de la masse. 

Cela ne signale-t-il pas la difficile actualisation du Soi — cette instance intérieure capable d’articuler l’individuel et le collectif ? 
Je sais bien que l’heure de l’Ère du Verseau n’a pas encore sonné (cf. Paul Le Cour), mais combien de vies humaines devront encore être fracassées, sacrifiées ? 

La montée de la mondialisation avait déjà entériné l’unilatéralité d’une seule voie : celle de l’économie et du profit. 
Aujourd’hui, avec l’essor du populisme et le retour des dictateurs, c’est une psyché archaïque qui se réveille — un refoulé collectif qui fait irruption. 

Jung écrivait que, happé par la masse, l’individu disparaît, absorbé par l’abstraction qu’est la raison d’État (Présent et avenir). 

Aujourd'hui, à nouveau,  ce ne sont plus seulement des abstractions : ce sont les actes concrets de guerre et de génocide qui produisent ce sentiment d’effacement de l’individu. 

Pour moi, cette souffrance humaine collatérale est profondément insupportable, abjecte, révoltante. 

La nature extérieure peut infliger des tourments, mais c’est bien l’environnement humain — ce que l’on appelle « le monde extérieur » — qui incarne aujourd’hui les plus grands périls. Et encore, je passe ici — pour ne pas alourdir ce post — l’impact délétère que ce climat exerce sur la psyché des plus fragiles… 

Les sentiments, les attachements à sa famille, à ses ami·es, à la vie, à la psyché individuelle — que valent-ils face aux buts de guerre d’un pays, d’un parti, ou même d’un seul homme, qu’il soit dictateur ou fou ? 
Pour quelqu’un comme moi, de culture jungienne : énormément

Nous pensions, peut-être naïvement, qu’en vivant dans un monde (soi-disant) évolué, il deviendrait plus sûr. Rien n’est plus faux aujourd’hui.

20 juin 2025

Dominer n'est pas connaître - Quand l'oubli de la psyché nourrit le chaos du monde -

 



Voilà ce que le spectacle de guerre, désolant et effrayant, qui se dresse devant nos yeux aujourd’hui m’inspire ; une réflexion que je relie profondément à la psychologie des profondeurs de Jung. 

Chez l’homme, la nature, c’est son essence. Non pas au sens biologique ou utilitaire, mais au sens profond de ce qui l’anime : sa psyché, son âme vivante. 

Pourtant, depuis des siècles, l’importance de connaître la nature de l’homme en lui-même a été largement sous-estimée. 
Nous avons exploré le monde en n’écoutant qu’une seule voix : celle de la raison. 
Nous nous sommes appuyés sur les grandes idées philosophiques, les dogmes religieux, les certitudes scientifiques, et aujourd’hui, sur la logique consumériste du tout-économique, du tout-marchand. Acheter, vendre, produire, consommer — voilà notre quotidien. 

Mais la vie ne se résume pas à l’économie. 

Nous ne cherchons pas à connaître la nature : nous cherchons à la maîtriser. 

L’avènement des machines, les prouesses techniques et technologiques, nous ont donné l’illusion d’une toute-puissance. 
Mais à quel prix ? Surpopulation, crise écologique, violence omniprésente et retour des guerres épouvantables… Voilà où nous a menés cette volonté de domination, cette fuite en avant vers un contrôle total du vivant. 
 
Or, dans cette course, nous avons oublié d’écouter : la nature. 
La nature, disait Jung, c’est ce qui parle. Elle nous parle à travers les rêves, les symboles, les visions — tout un langage que seule la psyché peut réellement entendre. 

Mais notre monde moderne a relégué la psyché au second plan, comme une chose fragile, floue, presque dérangeante. 
Et pourtant, c’est elle qui pourrait nous aider à affronter le désordre de notre époque. 

En voulant soumettre la nature à notre volonté, nous avons négligé notre propre essence. Nous avons tenté de maîtriser le monde extérieur sans jamais plonger dans sa profondeur — ni dans la nôtre. 

Les guerres qui se multiplient, les barbaries qui ressurgissent ne sont que le reflet de cette ignorance : des hommes qui continuent de lutter pour dominer les autres, incapables de reconnaître que ce n’est pas la nature que nous dominons — c’est elle, non reconnue en nous, qui continue à nous dominer. 

Tant qu’on domine sans comprendre, qu’on agit sans écouter, les forces brutes — en nous et autour de nous — restent livrées à elles-mêmes. 
Non transformées, elles détruisent. 
Non reconnues, elles nous gouvernent. 
Car ce qu’on refuse d’éclairer devient ce qui nous engloutit. 

Dominer, ce n’est pas connaître. Et si nous dominions vraiment la nature, alors pourquoi serions-nous, aujourd’hui encore, submergés par tant de violence, tant de guerres, tant de chaos ?



19 juin 2025

Le paradoxe de la vie

La psyché, c’est la vie. Et la vie, comme les sentiments, n’est pas quelque chose de palpable — sauf lorsqu’elle se manifeste en nous, à travers notre corps, nos ressentis, nos émotions. 

Mais nos émotions — en tout cas en France — sont encore si peu considérées ! Il n’y a pas si longtemps, les exprimer était perçu comme une faiblesse. Se taire, en revanche, était valorisé comme une vertu. Bien sûr, les émotions violentes ou agressives n’ont jamais fait de bien à personne. 

Mais précisément, la psyché possède des versants positifs et négatifs. Tout n’est pas lisse ni blanc dans le monde psychique, comme d’ailleurs dans le monde physique. Or nous aimons croire que nous pouvons, sans conséquence, ranger d’un côté le blanc, le lisse, le bien — et de l’autre, le noir, le rugueux, le mal. Mais en pensant ainsi, nous ne faisons vivre qu’une partie de notre psyché. C’est justement ce qui m’a poussé à m’intéresser à toute la psyché — et donc à la psychologie des profondeurs. Cela m’a pris du temps, car il a fallu accepter ce qui est inconnu, ce qui échappe, ce qui est sombre — ce que nous appelons trop vite “mauvais”. 

Il existe, bien sûr, un “mauvais réel”, ce que Jung évoquait comme le mal radical, ou comme une force autonome dans la psyché. Mais bien souvent, ce que nous qualifions de “mauvais” l’est simplement parce que cela se tient dans l’ombre : dans l’inconscient, dans ce qui n’a pas encore été reconnu. 

La psyché, c’est tout cela à la fois : le sublime et le sombre, le lumineux et l’inquiétant — ce que nous connaissons, et ce qui reste à découvrir. Il est essentiel d’accueillir tous ces aspects, non pour les craindre ou les nier, mais pour permettre au développement psychique de se poursuivre. 

Parfois, d’ailleurs, ce développement peut s’arrêter net après un traumatisme violent. 
La psyché peut alors dysfonctionner — mais aussi produire du merveilleux. 
C’est ça la psyché ou tout le paradoxe de la vie. 


 Illustration ; Gaëlle Bacquet

09 août 2024

Psychologie des profondeurs : entre simplicité et complexité

Dans un article qu’il rédigea en 1912, C.G. Jung donna à sa discipline le nom de « psychologie analytique », afin de la distinguer clairement de la psychanalyse de Freud. Il exprima en même temps sa préférence pour l’appellation proposée par Bleuler, « psychologie des profondeurs », malgré le fait qu’elle mette l’accent uniquement sur l’inconscient. 

Cette expression « psychologie des profondeurs » était manifestement chère à Jung, et l’on peut facilement comprendre pourquoi. En effet, le domaine des profondeurs occupe une place centrale dans l’ensemble de son œuvre. Dans son livre intitulé « Ma Vie », il exprime : 

« Ma vie est imprégnée, tissée, unifiée par une œuvre, et axée sur un but, celui de pénétrer le secret de la personnalité. Tout s’explique à partir de ce point central, et tous mes ouvrages se rapportent à ce thème ». 


Lorsqu’on découvre l'oeuvre de Jung, on peut être surpris par la complexité apparente de son objectif majeur, qui consiste à « pénétrer le secret de la personnalité », notamment parce que Jung s'exprime fréquemment en ayant recours à la méthode comparative appelée l'amplification ; c'est-à-dire qu'il cherche systématiquement à faire des analogies entre les mythes, les textes philosophiques et religieux anciens  et les processus psychologiques conscients et inconscients qu’il observe chez ses patients. 

Il fait ce que fait en quelque sorte l’inconscient dans ses créations lorsqu’il souhaite se connecter avec le conscient, car l'inconscient possède un aspect analogique et primitif, ainsi qu’une mémoire collective et intemporelle. Finalement, le message central que Jung cherche à transmettre à travers ses écrits est que, lorsque nous ressentons le besoin de plonger en nous-mêmes, soit intentionnellement, soit par le biais de symptômes, de rêves ou de visions, nous cherchons en réalité à atteindre le morceau de nature enfouie ou oubliée en nous-mêmes et que nous réclame instamment la vie de vivre. Jung désigne cela comme étant « les devoirs de la vie ». 

Certes, tous les sujets humains ne viennent pas chercher en analyse la mise au grand jour de l'accomplissement de leur tâche vitale. Mais il est clair que la psychologie des profondeurs invite à faire cela. 

La vie qui doit être vécue, la nature qui parle, expressions que Jung a utilisées pour définir les rêves ; n’est-ce pas, somme toute, un langage on ne peut plus simple et clair ? 

Oui mais voilà, cette clarté de langage a cessé d’être une évidence depuis belle lurette, car, la nature humaine, instinctive et spirituelle, dans nos psychés conscientes, revêt, de nos jours, l’aspect d’objets intérieurs étranges et terrifiants (les angoisses), ou encore de sentiments de danger (les phobies) et par-dessus cela, la manière dont se développent nos sociétés modernes, ultras matérialistes et ultras extériorisées facilite en l’aggravant l’enfouissement de cette nature qui cherche très naturellement, à nous parler via, les images, les rêves, les fantaisies… 

Jung a consacré une grande partie de ses travaux à l’étude de la puissance psychique ou l'archétype de la personnalité qu’il a appelée « le Soi ». Dans l’âme humaine, le Soi n'atteint son plein développement qu'au fil du temps et des expériences vécues. 

Effectivement, ce cheminement vers soi-même, que Jung a baptisé « processus d’individuation», s’amorce par une profonde métamorphose personnelle. Celle-ci se déclenche grâce à la confrontation et à la transformation de nos affects, désirs, et tendances pulsionnelles. 

De plus, afin d’ajouter une couche de complexité, sans le vouloir, Jung a utilisé la symbolique de l’alchimie, cette discipline considérée comme ésotérique, pour établir un parallèle entre le processus évolutif de la psyché humaine et les transformations miraculeuses que les alchimistes croyaient possibles dans la matière.

23 juin 2024

Nouveau baptême, nouvel habillage.

En rebaptisant mon blogue « La psychologie des profondeurs », je souhaite premièrement indiquer mon retour à la rédaction de billets de blogues, par conséquent ma possible réapparition sur l'espace numérique. 

De plus, lorsque j’ai créé ce blogue en 2006, je l’ai baptisé « la psychanalyse jungienne ». Le thème principal de mon travail à l’époque était l’explication du bond psychique et intellectuel que je venais de faire en comprenant mieux l’existence de l’inconscient jungien. Comme le champ de mes investigations actuelles ne correspond plus vraiment à l’étude de la différence entre l’inconscient freudien et l’inconscient jungien, la formulation « psychologie des profondeurs », l’autre façon qu’a proposée Jung d’appeler « la psychologie analytique », trouve désormais une plus grande résonance en moi. 

Il est clair, enfin, que je souhaite marquer les changements qui se sont opérés en moi au fil des années. On connait tous l’origine du travail et de la pensée de Jung : elle provient de ses expériences personnelles. N’est-ce pas à partir des expérimentations sur lui-même que Jung a développé ses conceptions théoriques ?
De même, lorsqu’on le lit, plus on connait ses propres processus inconscients, mieux on comprend la psychologie des profondeurs. 



Mon choix de mettre en évidence le motif du mandala dans le nouvel habillage de mon blogue s’appuie sur l’importance que je donne, ainsi que la psychologie analytique, au processus d’individuation et à sa finalité : la réalisation de la totalité de l’être (symbolisée par l'image du mandala). Toutefois, cette dernière ne peut commercer à émerger de l’inconscient sans la conscience, c’est-à-dire sans un « moi » fort et amplement développé. À partir de ce constat, j’ai orienté mes propres recherches vers le travail du féminin et de l’éros. 

Sur ces sujets et bien d’autres encore, il est probable que j’aurais l’occasion de m’exprimer. De plus, depuis que j’ai rédigé mes anciens articles, mes vues et mes pensées ont évolué ; c’est pourquoi je souhaiterais revoir certains d’entre eux.




21 juillet 2020

Quel lourd message d'erreur pour l'avancée des femmes dans la parole !





Bien que non-féministe je souhaite me rallier à l’opinion largement partagée des femmes, qu’elles soient libres, issues des associations féministes ou de l’opposition.

Depuis deux semaines les attaques fusent contre Gérald Darmanin lequel a été mis en cause par une femme pour viol. Classée sans suite dans un premier temps, la procédure a été relancée par la cour d’appel de Paris, qui a demandé, début juin, de nouvelles investigations.

Gérald Darmanin n’est pas à sa place comme ministre de l’Intérieur a jugé la sénatrice socialiste Laurence Rossignol

Rachida Dati a déploré qu’une suspicion de viol, de harcèlement et d’abus de confiance ne soit pas considérée comme un obstacle à diriger le pays.

Valérie Pécresse, a, elle, déploré une marque de mépris pour toutes les victimes.

Bien qu’étant attachée à la présomption d’innocence, je déplore moi que le chef de l’État et son nouveau premier ministre aient décidé d’apporter leur soutien sans faille au ministre de l’Intérieur, et sans même attendre la fin de la procédure judiciaire. 
Quel message envoie-t-on aux victimes et aux violeurs et agresseurs ? Celui-là même que l’un des ministres les plus importants du gouvernement pourrait être l'auteur d'un viol ! 
Quelle erreur éthique et politique d'une violence symbolique inouïe, pour reprendre les mots utilisés par la sénatrice PS Murielle Cabaret.

Nous savons à présent, cela surtout depuis le mouvement #MeeToo, que le dépôt de plaintes des femmes pour viol, agression sexiste ou sexuelle sont hélas très peu pris en compte dans les Commissariats de police.
En accordant toute sa confiance à un homme accusé de viol, le gouvernement envoie un message rétrogradant et méprisant les principes d'équité : au plus haut sommet de l'Etat, on nous montre que l'on n’écoute pas la parole des femmes :  Mr Darmanin étant reconnu innocent, la victime, une femme, ne peut que mentir ! 
Quel grand coup d’arrêt, en termes de message, donné à la libération de la parole des femmes après des décennies de stigmatisation et de loi du silence subi ? Et quel exemple donne-t-on aux policiers qui continueront à recevoir les plaintes des femmes pour viol ?
Quelle chance donne-t-on aux femmes agressées ou violées d'être entendues ?
Quels encouragements ou plutôt découragements apporte-t-on aux femmes qui souhaitent dénoncer un viol ou une agression sexuelle et sexiste ?
Où est l'exemplarité donnée aux hommes qui continuent à imposer par la force et la violence leur désir, tout cela au mépris des conséquences sur la vie des femmes agressées ou violentées ?

Comme le chemin paraît long encore vers le respect et la reconnaissance de la parole des femmes. Par suite, l’oubli de la dimension primordiale du féminin risque de durer bien plus longtemps encore !

Illustration : Gaëlle Bacquet

27 avril 2020

Le processus d'individuation au masculin

Je profite du temps libre qui m’est offert, grâce au confinement pour me plonger dans la lecture d’extraits de livres que j’ai beaucoup aimés. Le dernier en date étant le récit de l’initiation de Lucius au mystère d’Isis qui se trouve dans le célèbre roman fantastique d’Apulée, L’âne d’or. Ce récit qui constitue le chapitre final, décrit avec l’intensité inhérente à l’archétype, la puissance de métamorphose et de transformation intérieure que les puissances archétypales représentées sous formes imagées de Dieux ou Déesses, sont susceptibles de déclencher chez l’aspirant à (re)trouver sa forme vraie et entière.
Marie-Louis von Franz, dans son livre, l’interprétation du conte d’Apulée, L’âne d’or, suggère une analogie évidente entre les mystères anciens et le processus d’individuation. Son interprétation du conte, L’âne d’or, pointe en particulier le processus d’individuation chez l’homme dont voici dans le texte ici-bas quelques caractéristiques que résume très bien dans la préface du livre, Saint René Taillandier-Perrot. Ce texte m’a plu, car il décrit en peu de mots, la fascination, les pièges et les embûches du travail d’individuation, sans oublier de faire état des retombées psychologiques observables dans la clinique du quotidien.


"Lucius, personnification d’un des aspects d’Apulée, qui aspire à l’aventure intérieure, quitte sa patrie pour aller visiter celle de sa mère, la Thessalie, tenue pour terre des sorcières. C’est que, clair esprit latin (comme nous le précise son nom lui-même) il est fasciné par l’autre face de la réalité, l’aspect “sombre”, chthonien, sexuel, magique de la vie, et par tout ce qui est émotionnel, instinctif, par tout ce qu’il sent vivre dans ses propres profondeurs et dans le monde et qui n’est pas préhensible par la seule raison logique. En un sens, il est déjà appelé, séduit par le besoin de vivre toutes les sortes d’expériences, de ne rien refuser du réel et d’épanouir la totalité de son être. Ce qu’il ignore et qu’il apprendra  à ses dépens, c’est que nous ne pouvons pas approcher les grands mystères de la vie et du monde en curieux, en esthète ou en érudit, car, en ce cas, ou bien nous restons à la surface de nous-mêmes et les forces obscures que nous refusons continue à nous miner par en dessous, ou bien nous sommes submergés par elles, ou bien encore nous cherchons à nous les approprier par la magie et les pouvoirs, et ce sont elles qui nous possèdent. Lucius devient donc le captif des forces obscures et il est transformé en âne : sous une forme imagée qui est celle, naturelle, des mythes et des rêves, c’est-à-dire qu’il est tombé dans une semi-conscience animale. C’est l’état de quelqu’un qui vit une phase de dépression profonde, d’hébétude, d’inadaptation à la vie, et qui en souffre".

20 avril 2020

La vengeance de la nature



En ces temps sombres, le texte ci-dessous de Marie-Louise van Franz extrait du chapitre, la revanche de la déesse dans son livre « La femme dans les contes de fées » demeure, nous pouvons le dire, d’actualité !

La vengeance de la nature est reliée de près à la situation grave qui est l’un des plus grands problèmes de notre temps : à savoir, celle créé par les immenses progrès techniques et rationnelles - en particulier dans le domaine de la médecine - de la civilisation occidentale. Ces problèmes sont la conséquence de la domination de la race blanche. Bientôt le monde risque d’être en état de surpeuplement sans espoir…/…. Peut-être la nature inventera-t-elle un nouveau virus car ceux-ci sont capables de mutation étonnante ou bien la surpopulation créera un tel état d’irritation que la Russie, les États-Unis ou une autre nation déclarera la guerre atomique. L’Humanité devant être réduite d’une façon ou d’une autre.

La dégradation de la Terre soulignée par Marie-Louise van Franz, représente toujours pour toute l’humanité un problème immense et urgent  ;  simplement ce qui change aujourd’hui, c’est que nous ne pouvons plus l’ignorer ; pas un jour ne se passe sans que chercheurs et scientifiques ne tirent la sonnette d’alarme dans la presse pour y égrener les chiffres tragiques de la déforestation intensive, de la dégradation massive de l’environnement liée à la surpopulation, et de la destruction de la biodiversité. A cela s’ajoute, faut-il s’en étonner, l’accélération du changement climatique qui affecte d’ores et déjà la vie et la santé des humains. Et pour couronner le tout, il y a le dernier coronavirus (1) qui en s’invitant sans prévenir sur toute la planète fait vaciller de son piédestal la mondialisation et étale sous nos yeux la vulnérabilité et l’impréparation de l’espèce humaine face à une riposte violente de la nature.

Selon Marie-Louise von Franz, ces problèmes sont la conséquence de la domination de la race blanche. Sans doute veut elle parler des habitants du monde développé où domine le crédo du bien heureux progrès des sciences, de la médecine, de la technologie ; tous ces progrès sont une très bonne chose, puisqu’ils ont permis d’améliorer les conditions de vie sur terre ; mais ce crédo humain a aussi créé depuis plusieurs dizaines d’années l’économie de l’illimitation c’est-à-dire le dogme de la croissance sans limite, sans fin et dénuée de sens. La croissance pour la croissance est devenue l’objectif primordiale (2). Ce qui est extrêmement grave, c’est que le dogme de la croissance se fiche des conséquences terribles qui s’en suivront pour la planète terre et l’humanité. L’attitude humaine rationnelle, bonne et supérieure laisse ainsi entrevoir son côté sombre : « L’humain est un omnivore devenu un superprédateur, dégradant chaque année l’équivalent de la moitié de l’Union européenne de terres cultivables(3) ! ». Mais pour aller où, dans quelle direction ? Ce n’est pas parce que nous jouissons de technologies supérieures que notre monde est plus agréable à vivre. Au contraire, notre modèle de développement créé de plus en plus de souffrance humaine, de maladie et de pauvreté ; et pour le présent, le monde doit faire face à un virus mortel et hyper contagieux.

Pour faire face à un problème avec efficacité, il faut l’envisager dans sa totalité, nous dit Marie-Louise von Franz. En terme mythologique la nature dans sa totalité à l’image de notre terre ou de notre planète, porte le nom de déesse-mère ; les différentes mythologies nous apprennent que la déesse-mère symbole de la Terre-Mère n’est pas seulement belle, nourricière et merveilleuse. Elle possède également un aspect sombre, qui est un principe de justice, de punition et de vengeance féminin. En Grèce antique ce principe était représenté par la déesse Némésis pour la justice, et par la déesse Thémis pour la vengeance.  Autrement dit, il nous faut comprendre que dans la nature il existe un côté sombre, cruel, vengeur, dur et sévère qui ne laissera pas les humains agir indéfiniment comme bon leur semble. Une justice naturelle viendra inévitablement rectifier dans un sens total et naturel les lois ou plutôt l’absence de lois masculines prises et d’actions collectives entreprises pour préserver la vie sur terre. Contrairement à la justice masculine, qui fait appelle au logos, et donc à une décision humaine, le principe de justice et de vengeance féminin agit comme une conséquence naturelle, comme une réaction instinctive inévitable ; la nature frappe, punit bien qu’aucune loi éthique n’ait été enfreinte.
Prenons l’exemple suivant : l’éleveur de porcs en Bretagne qui produit du lisier en très grande quantité pour les terres agricoles et qui pollue massivement les nappes phréatiques n’enfreint pas les lois, au regard de la loi masculine… Par contre, le fait qu’il n’y ait pas de loi pendant des années et des années pour restreindre la production de polluants, imaginez-vous combien cela pourrait tout naturellement déclencher la fureur instinctive, aveugle et destructrice de la déesse. 
De plus, les mythes, les contes et les légendes nous apprennent que si l’on ignore un dieu ou une déesse ils se manifestent d’autant plus dangereusement. Ce qui signifie que l’aspect sombre de la déesse se tient en embuscade prêt à dégainer son épée et à frapper très fort, si on l’oublie entièrement. L’oublier, c’est mener ses activités humaines sans tenir compte de son existence ; imaginer une vie humaine sans prendre soin de votre maison, de votre fille, de votre mère de votre grand-mère, de vos intestins, de votre diabète ; inévitablement, il y aura des conséquences naturelles dans votre vie relationnelle et familiale et sur votre santé.
Ne pas l’oublier revient à changer notre relation avec l’environnement naturel, la terre, la planète, tous ses habitants, l’air que nous respirons ; cela revient à l’aimer et à le respecter.

Est-ce que le coronavirus correspond à une vengeance de la nature ? Un virus hautement mortel règlerait, certes, le problème de la surpopulation mondiale. Mais je préfère penser que nous ne sommes pas arrivés à ce niveau de vengeance nécessaire à la survie de l’humanité. Le temps nous est certes compté pour agir. Disons que dans le temps compté, s’offre à nous, un temps d’arrêt salutaire, grâce au confinement. En effet, le confinement a provoqué un coup d’arrêt à la croissance économique illimitée, ainsi qu’à nos vies modernes fiévreuses, laissant ainsi pendant quelques semaines la nature à l’intérieur et à l’extérieur de nous, reprendre son souffle. Permettons à ce temps dans le temps court qu’il nous reste pour agir, de nous offrir la possibilité de réfléchir, d’innover, d’inventer, de créer et de rechercher de nouvelles solutions. 
Donnons-nous les moyens de devenir plus acteur et responsable de la fin d’un monde qui arrive.  Quel monde nouveau voulons-nous pour demain ?
Je suis sûre d’une seule chose, c’est qu’il nous faut agir très vite car nous pourrions subir « demain de nouveaux épisodes, avec des monstres autrement plus violents que ce coronavirus » (4) ! Ce qui signifie qu’en l’absence d’actions humaines plus justes et en lien de concorde et de paix avec la planète et tous ses habitants, le côté sombre de notre terre bonne et généreuse pourrait dégainer son épée ! 

 Illustration : Gaëlle BACQUET




(1) La couronne est un symbole du Soi
(2) Pourquoi une société de décroissance – Serge Latouche – (Libre de Solidarité 2015)
(3)&(4) Les changements nécessaires sont civilisationnels  - Jean-François Guégan – le monde 17 avril 2020)

07 février 2020

Freud et Jung, les raisons de leur rupture




Jung et Freud vont collaborer, au début, sans aucun problème, pendant un long moment, de 1906 à 1912. Au début, tout baigne entre eux ; Jung qui a 19ans de moins que Freud, est fasciné : "Freud, écrit Jung, était la première personnalité vraiment importante que je rencontrais. Je le trouvais extraordinairement intelligent, pénétrant, remarquable à tous points de vue". Et Jung devait apparaitre comme le dauphin idéal. Une projection parentale très positive a beaucoup joué dans la formation de leur liaison d’amitié.

Un lien fort s’est établi entre les deux hommes aussi pour des raisons théorico-cliniques. Jung a, en effet, suivi son maître, dans la mesure ou ses expériences d’association concordaient avec les théories de Freud (1). Mais comme chacun le sait leur rapprochement théorique s’est arrêté là, au mécanisme du refoulement. Jung a tout de même écrit en 1906, la psychologie de la démence précoce en appliquant sur ses patients les conceptions théoriques de Freud.

En fait, on a tellement glosé sur leurs différends, qu’on en oublie combien ces deux hommes pendant un temps assez long finalement avaient marché main dans la main : Jung a été le 1er président de la société internationale de psychanalyse et il a écrit les statuts du règlement intérieur de l’école freudienne.

Donc, je visualise bien le Jung de cette époque : téméraire mais très dévoué et investi malgré des doutes récurrents et déterminé à sortir des sentiers battus ; il sait qu’il doit renoncer à sa future carrière universitaire (2). Il sait qu’il fait le choix de la vérité mais il ne sait pas encore que ce choix va le conduire à vivre une rupture difficile, l’isolement, puis une expérience intérieure intense et profonde qui constituera les matériaux de base vivants de son œuvre écrite.

La position intérieure de Jung au contact de Freud est très instable ; une position qui va beaucoup évoluer après la rupture entre les 2 hommes.
Tant que leur lien d’amitié n’était pas rompu, et donc que la confrontation avec son propre inconscient n’avait pas eu lieu, on perçoit un Jung qui oscille entre deux pôles ; entre le dévouement de sa personnalité une, et les doutes et les scrupules de sa personnalité seconde.
Mais il va beaucoup changer après la rupture ; on peut peut-être dire qu’avant la rupture, sa vie consciente était beaucoup trop chargée d’idéaux pour parvenir à se relier aux processus internes inconscients.  C’est ce qu’explique Aimé Agnel, dans son dictionnaire Jung, il écrit "l’identification du moi à la persona en tant qu’élément de la psyché collective empêche toute relation consciente avec les processus internes".

Le principal point de divergence qu’il y eut entre les deux hommes, fut la question des phénomènes religieux ; une divergence qui se solda donc par leur rupture définitive en 1913. Il faut tout d’abord rappeler l’attachement profond de Jung au religieux et aux phénomènes parapsychologiques ; Jung a toujours été submergé par le sentiment religieux ; petit déjà il était obsédé par l’idée de dieu ; étudiant, il a participé à des séances de spiritisme avec sa cousine qui avait des dons de médium. Et, il y a sa thèse de médecine intitulée, Psychologie et pathologie des phénomènes dits occultes (3). 

Donc ce n’est guère étonnant que dans le domaine psychologique, Jung ait commencé par s’intéresser aux contenus numineux de l’inconscient, qu’il appellera les archétypes, ces formes et possibilités autonomes de connaissance et de conscience, chargées d’énergie, et produisant des images, des images en particulier religieuses. En dehors de ces productions, pour Jung l’inconscient c’est quelque chose de pas définissable (4), "une réalité dont on ne peut rien dire (5)" 

Lorsque l’on connait ses bases religieuses, on comprend tout à fait que Jung ne pouvait que se montrer très critique face à la partialité, l’exagération et l’unilatéralité d’un Freud qui était entrain d’échafauder sa théorie sexuelle en privilégiant qu’un seul angle de vue : l’angle de vue biologique ; tout imprégné et séduit qu’il était par le scientisme de l’époque.

Freud se voulait scientifique, et pourtant il a érigé comme un dieu un seul instinct, l’instinct sexuel (6), l’instinct sexuel comme seule explication de l’âme humaine. La disproportion des idées sexuelles trahit pour Jung la présence chez Freud, d’un numen (7) et me fait penser à une inflation psychique. L’apothéose de la fin survint lorsque Freud demanda à Jung de faire de la sexualité un bastion inébranlable contre le flot de la vase noire de l’occultisme ! (8)
Freud voulait endiguer et expliquer le religieux par la psychanalyse ; une position absolument intenable pour Jung.

Telle était l’intention originelle de Freud, affirmer que le religieux résulte du refoulement de la sexualité ; cela revient à penser un inconscient extrêmement réduit et très concrétisé ! Et instaure l’unilatéral et la réduction qui caractérisent la psychologie personnaliste de Freud et d’Adler, et qui donnera lieu à une expression très utilisée par Jung : l’expression ce n’est rien que.
Penser ce n’est rien que de la sexualité revient à mettre sous cloche notamment le religieux ; aussi Quand on parle du seul aspect extérieur, nous dit Jung, conséquence inévitable, "une réaction naît dans l’inconscient" ; d’où comme conséquence chez Freud, la proportion élevée de son irréligiosité. Mais aussi de son amertume, remarque Jung, car en luttant contre le religieux il luttait contre lui-même. En fait, les réactions unilatérales et extrêmes de Freud, vont corroborer, l’existence chère à Jung, du couple de contraire sexualité/spiritualité : Pour Jung, Freud n’a vu que la manifestion extérieure de la sexualité et non en même temps sa manifestion intérieure et spirituelle.

Jung voyait et Freud n’a pas vu, non plus, que la théorie de Freud et d’Adler se contrebalancent, comme se contrebalancent dans toute âme humaine, les deux instincts puissants que sont, l’Éros défendu par Freud, et la force d’affirmation de soi ou l’instinct de puissance, défendu par Adler. L’un est une restriction pour l’autre. Ce sera une notion-clé pour Jung, la dynamique de la compensation présente dans la psyché. Ses 2 instincts, sinon, conduiront Jung à l’étude des deux types : extraverti et introverti (9).

Mon but, dans ce texte, était de montrer pourquoi Freud et Jung ne se contredisent pas, ne s’opposent pas, contrairement à ce qu’on lit souvent. Les deux hommes ne parlent tout simplement pas du même inconscient. Freud parle de l’inconscient de la névrose, et pour lui le religieux n’est qu’une illusion (10).  Jung, lui, regarde les choses d’un autre endroit ; il étudiera l’inconscient des archétypes, un inconscient en lien avec une âme changeante, d’où sa conception future de la fonction religieuse et créatrice de l’âme. Il étudiera les phénomènes religieux tels qu’ils sont profondément vécus et ressentis de l’intérieur. Bref, pour comprendre tout ce qui va venir, je trouve que comprendre les raisons de la rupture entre Freud et Jung, ouvre et prépare bien, à la pensée profondément religieuse de Jung.

[1] la censure et le refoulement comme causes des maladies mentales
[2] Jung a été nommé privat-docent
[3] Ne pas oublier aussi que Jung était fils et petit-fils de pasteur !
[4] Voir le concept de libido dans Métamorphose de l’âme et ses symboles – Jung -
[5] L’expérience intérieure - M. Cazenave,
[6] La sexualité était pour Freud une réalité numineuse
[7] La présence d’un dieu caché
[8] Voyez-vous, nous devons en faire un dogme, un bastion inébranlable contre le flot de vase noire de l’occultisme ! Cette phrase ébranla pour Jung leur amitié :  Je savais que je ne pourrais jamais faire mienne cette position - dans Ma vie -
[9] Voir Types psychologiques – Jung -
[10] Voir l’Avenir d’une illusion - Freud -