21 novembre 2025

Le vortex matriciel : une fonction thérapeutique de mutation

 



Dans mon expérience clinique, j’ai remarqué qu’une partie de l’âme fonctionne comme un vortex matriciel : une région primitive qui peut contenir le chaos, la détresse, l’informe, et, progressivement, leur donner forme, sens et organisation interne. Il ne s’agit pas seulement d’une faculté d’accueil, mais bien d’une véritable puissance de transformation. 

Cette fonction transformante est similaire aux opérations décrites par les alchimistes. Jung la décrit comme un potier, un magicien et un artisan du vivant : une instance psychique qui travaille la matière brute des émotions, des visions et des expériences pour les mener vers une configuration plus supportable. 

La mythologie confirme cette intuition clinique : les Cabires, Héphaïstos, ou encore les divinités-forgerons représentent précisément ce travail souterrain, invisible, qui façonne et réorganise les éléments primitifs. Ce sont des représentations du processus psychique lui-même. 

Au fond, chacun porte en lui un “petit Merlin” — une capacité interne d’élaboration qui, lorsqu’elle n’est pas entravée, permet à la vie psychique de redevenir mouvante, créatrice et légère. Cette dimension n’est pas magique : elle est clinique. Elle rappelle que le soin n’est pas seulement une réduction de symptômes, mais aussi une relance des processus de transformation, là où la psyché forge, réorganise et symbolise ce qui, autrement, resterait informe ou douloureux.


16 novembre 2025

Les tâches de la vie : pourquoi notre culture ne parle plus des passages intérieurs


 

Il existe, dans toute existence humaine, des étapes cruciales que Jung appelait les tâches de la vie. Non pas des devoirs imposés, mais des passages intérieurs nécessaires à la maturation psychique : se séparer de ses parents, rencontrer son Ombre, apprivoiser ses instincts, accueillir le Féminin ou le Masculin intérieurs, reconnaître en soi une direction plus vaste que la volonté du Moi. 

Dans les civilisations anciennes, ces tâches n’étaient ni muettes ni solitaire : on les reconnaissait, on les nommait, on les accompagnait. 
Les mythes, les rites, les contes, les dieux servaient à symboliser ce que l’être humain devait traverser. Ils transformaient l’expérience brute en sens, l’émotion archaïque en forme partageable. 
 
Aujourd’hui, notre culture a perdu ce langage. Elle a hypertrophié le visible, le rationnel, le technique ; elle a désymbolisé l’existence. Du coup, les tâches de la vie se présentent encore — elles ne disparaissent jamais — mais elles arrivent sans nom, sans guide, sans images pour orienter la traversée. 
 
Le résultat est tragiquement simple : l’être humain doit accomplir seul ce que la culture n’accompagne plus. 
 
L’individuation, la rencontre de l’ombre, l’effondrement du Moi, l’appel du Soi, l’éveil du Féminin intérieur, l’intégration d’Éros : tout cela demeure, mais ne trouve presque aucun miroir collectif. 

Ce que les traditions appelaient initiation, et que la psychologie nomme symbolisation, n’est rien d’autre que l’accomplissement des tâches de la vie. 

Et comme ces tâches ne sont plus représentées dans la conscience collective, elles surgissent aujourd’hui sous des formes brutales : angoisses, dépressions, quêtes compulsives, idéalisations, effondrements — autant de tentatives de l’âme pour faire seule ce que la culture ne tisse plus. 

Fait révélateur : les seuls espaces où ces passages intérieurs peuvent encore être racontés sont les contes, les films fantastiques, les récits initiatiques, les animés philosophiques. 
Ce sont les derniers lieux où les tâches de la vie sont encore figurées : la quête, la métamorphose, la descente aux enfers, la perte, le mentor, la renaissance. 

Là seulement, la psyché peut encore dire son chemin. 

Réintroduire ces passages dans notre langage, les reconnaître comme des tâches naturelles du devenir humain, c’est déjà commencer à guérir de l’unilatéralité moderne. C’est redonner une dignité à ce que chacun traverse — souvent en silence — pour devenir un être humain entier. 

Illustration : Pinterest
Texte : Isabelle Basirico

13 novembre 2025

Faire descendre les images


Quand la conscience ne fait pas le travail, l’inconscient le fait à sa manière, par des symboles, des rêves, des événements extérieurs, etc. Autrement dit, l’imagination involontaire accomplit ce que la volonté du moi n’a pas su faire. La vie psychique accomplit la tâche, que le moi l’accepte ou non. 

Prenons l’exemple du fantasme de totalité inconscientes (ou fantasme de Soi inconscient). Chez certains sujets dont le moi redoute l’épreuve du monde, surgissent alors, par exemple, dans leurs rêves des images grandioses – paradis, enfer, royaumes de lumière ou d’ombre. Ces fantasmes ne sont pas tant l’expression d’une mégalomanie que la manifestation d’un Soi encore inconscient, se projetant sous des formes extrêmes, totalisantes, pour suppléer à l’impuissance du moi. 

Le rôle de l’analyste est d’accompagner la chute douce du rêveur, de ces cieux imaginaires vers la terre de sa vie. Il s’agit d’aider le symbole à prendre corps, à devenir acte, à trouver sa forme humaine, dans l’ici et maintenant, dans son corps et dans sa vie actuelle. 

Image : John Pitre 
Texte : Isabelle Basirico

11 novembre 2025

Dans la bulle du moi et du monde

 


Aux origines, le sentiment d’exister repose sur une appartenance inconsciente au grand tout. On se sent vivre parce qu’on se sent inclus dans une unité indifférenciée, semblable au bain maternel premier. Ce mode archaïque procure la paix, mais au prix de la non-différenciation. Tant que la conscience n’en émerge pas, le moi cherche à retrouver cette osmose perdue, projetant sur le monde extérieur son désir de fusion originelle — ce que Jung appelait la participation mystique. 

Mais ce mode d’être confère un sentiment d’existence illusoire. Il engendre un manque-à-être qui pousse à des adaptations de façade et empêche le développement de la capacité d’aimer Passé un certain âge, si le processus d’individuation n’advient pas en conscience la souffrance s’installe, la psyché se rétracte : le féminin intérieur, principe de lien, demeure en friche. L’autre devient le miroir de ce manque — on lui demande de réparer, de donner sens, de combler. On revendique, on exige, d’autant plus vivement que l’on pressent qu’une unité existe quelque part — dans cette bulle imaginaire du moi et du monde confondus. Mais le monde réel, l’autre, ne partage pas cette perception : on se sent seul même en présence. 

En fait, la véritable coupure n’est pas avec l’autre : elle est avec notre propre totalité, ce lieu intérieur où pourrait renaître le sentiment d’existence véritable. 

Illustration : Gaëlle Bacquet
Texte : Isabelle Basirico


08 novembre 2025

Au commencement, il y a l'amour




L’amour - dit l’Éros - est ce qui permet la transformation des émotions et des sentiments. Il est aussi l’un des instincts les plus puissants. Il se tient au fondement même du devenir humain. Aimer, c’est revenir à la source du développement, au commencement de la vie sur terre : tout commence par lui — par l’instinct de vie, l’élan vital, la pulsion de vie, par l’amour. 
Mais tout débute d’abord dans l’inconscient, dans l’archaïque. 
Et il faut alors cheminer avec les figures parentales, faire évoluer ce socle affectif et instinctif, et affronter les multiples écueils : blocages, arrêts, entraves liées à l’environnement et à « l’esprit du temps ». 
De ce mystère du commencement, de cette quête du sens et du cœur, la psychanalyse est née — pour écouter l’amour blessé et lui rendre sa force créatrice.



01 novembre 2025

La souffrance psychique et le début du processus d’individuation






Je souhaite aborder ici le thème de la souffrance psychique, car elle joue un rôle central dans le processus d’individuation. 

 Pour illustrer mon propos, je partirai d’une situation que je connais intimement, pour l’avoir moi-même vécue et rencontrée à maintes reprises dans ma pratique clinique. 

Il s’agit de la détresse ressentie par les parents, mais qu’ils n’osent pas partager avec leurs enfants. Ils la taisent par pudeur, par peur ou par nécessité, la gardant ainsi cachée derrière un mur de silence. 
Dans ces familles, il devient souvent vital de réinventer rapidement une vie « normale », lisse, comme si rien ne s’était produit. Ce silence s’installe toujours avec une intention bienveillante : celle de protéger les enfants des épreuves du passé, jugées trop lourdes ou trop douloureuses. 

Voici, en quelques mots et en guise d’exemple, mon propre vécu. 
Avant ma naissance, ma famille a fait face à l’exil et au déracinement. Pourtant, mes parents n’ont jamais évoqué la détresse qu’ils ont traversée : la douleur d’avoir quitté leurs proches, la perte de leurs repères, l’abandon de leur cadre de vie rassurant. J’ai grandi dans ce silence, dans une atmosphère d’anxiété constante. 
Car, mes parents, malgré des conditions de vie sûres et ordinaires, vivaient toujours dans la peur : peur de mourir, peur du danger, peur de perdre ce qu’ils avaient reconstruit. C’est le propre de l’anxiété que de survivre à l’événement qui l’a engendrée. Elle devient une réponse psychique et corporelle — palpitations, maux de ventre, tension diffuse — à un danger qui n’existe plus, mais dont la trace demeure inscrite dans la mémoire du corps. 
Et, comme dans de nombreuses familles où la souffrance parentale reste inexprimée, ce qui n’a pas été mis en mots finit souvent par se dire à travers le corps de l’enfant. Les émotions tues se transforment en symptômes, en maux psychosomatiques, parfois même en maladies auto-immunes à l’âge adulte. 
Le corps de l’enfant devient alors le réceptacle de la souffrance psychique qui n’a pu être partagée avec personne d’autre. 
J’ai fini moi-même par laisser la peur me dominer. Cette peur a été un frein dans ma vie, mais a aussi servi de moteur dans ma quête intérieure de sens et de connaissance. Et comme beaucoup de personnes, je suis entrée dans la psychologie des profondeurs de Jung par la porte étroite de la souffrance — une souffrance amplifiée par le travail intérieur que mes parents n’avaient pas pu entreprendre. 

Or, et c’est ce que j’ai découvert au fil de mon propre cheminement, lorsqu’une souffrance est enfin approchée, regardée sans fuite, elle va peu à peu se transformer. Par les images, les rêves, les projections, jusqu’à ce que l’énergie de la souffrance entre dans un contenant symbolique. 

Le symbole, au sens jungien, n’est pas une simple métaphore : c’est une forme vivante où l’énergie se fait langage. Il est la matière à partir de laquelle on peut amorcer le travail de mise en sens, et ce travail peut prendre plusieurs années. 
C’est là que l’on réalise progressivement que, tandis que le symptôme confine, le symbole tisse des liens ; alors que l’angoisse éparpille, le symbole rassemble. Il marque ce passage subtil où la douleur brute se transforme en souffrance symbolique — le moment où l’âme commence enfin à respirer à nouveau. 

Le souffrir cesse d’être un état subi ; il devient une matière première vivante qu’il faudra transformer. En alchimie, on l’appelle la «nigredo». Le processus profond qui s’opère ne vise pas à faire disparaître la souffrance ; il cherche à la métamorphoser. 
Il accompagne le mouvement qui permet à l’énergie jusque-là retenue de retrouver sa circulation, sa respiration, sa dimension de sens. 

Ainsi, ce que nous appelons «guérison» pourrait ne rien être d’autre que cela : lorsque l’énergie de la souffrance se transforme en énergie de conscience ; elle devient le creuset même de la conscience.



16 août 2025

Poutine nostalgique d’Ouroboros’land



J’ai lu ce matin dans les journaux que la tentative de Trump pour négocier une trêve avec Poutine a échoué. Son entêtement à vouloir continuer la guerre m’a inspiré ce texte :

 

Vladimir Poutine ne pense pas seulement en stratège : il agit comme une figure mythologique. Comme l’Ouroboros, le serpent qui se mord la queue, il rêve d’un cercle clos où rien ne doit lui échapper. L’Ukraine, la Géorgie, les anciennes républiques soviétiques : autant d’“enfants” qu’il veut réabsorber pour préserver l’illusion d’un corps indivisible.

 

On retrouve chez lui la logique d’Ouranos qui refusait à Gaïa d’accoucher, ou de Chronos qui avalait ses enfants par peur d’être détrôné. C’est le vieux père dévorateur, plus archaïque que politique, qui préfère étouffer la vie plutôt que d’affronter la séparation.

 

Mais, comme toujours dans les mythes, le cercle finit par se briser : l’histoire ne se laisse pas enfermer dans un parc à thème impérial. Poutine est nostalgique d’Ouroboros’land — un Disneyland de l’archaïque, où l’on s’illusionne en croyant que l’on peut arrêter la naissance du nouveau.

 

Il s’agit du combat éternel entre les forces de vie et celles de destruction. Espérons que les forces de différenciation ou de vie triompheront. Ce serait la version la moins désastreuse, car, même si les forces de la mort ouvrent sur un avenir nouveau, puisque la vie ne peut jamais disparaître, cela reste l’option la plus chaotique et la plus meurtrière pour les êtres humains.

 

Voici une autre réflexion qui me vient à l’esprit, ne sommes-nous pas de simples pions devant les forces archétypales ? Et pourtant, les desseins de ces puissances ne peuvent être accomplis qu’à travers les actions humaines. Dans la mythologie, les divinités ne font-elles pas subir leur colère aux mortels qui transgressent leurs lois et leurs règles ?  Ce temps, antérieur à la différenciation, ne semble pas avoir totalement disparu. Il demeure, toujours inconscient, dans la psyché, soit sous la forme de fantaisies, soit dans le monde sous celle de propagande.

 

Enfin, l’entêtement non moins fort et très puéril de Trump à vouloir à tout prix obtenir le prix Nobel de la paix a de quoi nous inspirer aussi une Disneyland City de lui-même !

Sa Disneyland City n'est pas un lieu de réconciliation, mais un théâtre narcissique ; un empire de carton-pâte où la gloire personnelle est érigée en diplomatie.

Face à lui aussi, nous mesurons combien la politique moderne est travaillée par des archétypes anciens : le roi enfant, capricieux et joueur, qui veut que tout l’univers soit son propre terrain de jeu…

23 juin 2025

La souffrance de l'humanité


Je voulais vous parler de la souffrance en lien avec la psychologie des profondeurs. Mais il m’est difficile de le faire sans évoquer d’abord l’épidémie de souffrance humaine collatérale que l’actualité place sous nos yeux. 

Ce que je vois dans le monde me glace : toute cette violence qui tue et détruit, au mépris des populations — que ce soit à Gaza, en Ukraine, en Iran maintenant… et dans bien d’autres lieux, hélas, à travers le monde.  
La souffrance existentielle, collective et collatérale submerge tout — y compris la vie individuelle. 

En tant que psychologue, j’ai le sentiment que la subjectivité de chacun est piétinée, écrasée sous le poids de la masse. 

Cela ne signale-t-il pas la difficile actualisation du Soi — cette instance intérieure capable d’articuler l’individuel et le collectif ? 
Je sais bien que l’heure de l’Ère du Verseau n’a pas encore sonné (cf.Paul Le Cour), mais combien de vies humaines devront encore être fracassées, sacrifiées ? 

La montée de la mondialisation avait déjà entériné l’unilatéralité d’une seule voie : celle de l’économie et du profit. 
Aujourd’hui, avec l’essor du populisme et le retour des dictateurs, c’est une psyché archaïque qui se réveille — un refoulé collectif qui fait irruption. 

Jung écrivait que, happé par la masse, l’individu disparaît, absorbé par l’abstraction qu’est la raison d’État (Présent et avenir). 

Aujourd'hui, à nouveau,  ce ne sont plus seulement des abstractions : ce sont les actes concrets de guerre et de génocide qui produisent ce sentiment d’effacement de l’individu. 

Pour moi, cette souffrance humaine collatérale est profondément insupportable, abjecte, révoltante. 

La nature extérieure peut infliger des tourments, mais c’est bien l’environnement humain — ce que l’on appelle « le monde extérieur » — qui incarne aujourd’hui les plus grands périls. Et encore, je passe ici — pour ne pas alourdir ce post — l’impact délétère que ce climat exerce sur la psyché des plus fragiles… 

Les sentiments, les attachements à sa famille, à ses ami·es, à la vie, à la psyché individuelle — que valent-ils face aux buts de guerre d’un pays, d’un parti, ou même d’un seul homme, qu’il soit dictateur ou fou ? 
Pour quelqu’un comme moi, de culture jungienne : énormément. 

Nous pensions, peut-être naïvement, qu’en vivant dans un monde (soi-disant) évolué, il deviendrait plus sûr. Rien n’est plus faux aujourd’hui.

20 juin 2025

Dominer n'est pas connaître - Quand l'oubli de la psyché nourrit le chaos du monde -

 



Voilà ce que le spectacle de guerre, désolant et effrayant, qui se dresse devant nos yeux aujourd’hui m’inspire ; une réflexion que je relie profondément à la psychologie des profondeurs de Jung. 

Chez l’homme, la nature, c’est son essence. Non pas au sens biologique ou utilitaire, mais au sens profond de ce qui l’anime : sa psyché, son âme vivante. 

Pourtant, depuis des siècles, l’importance de connaître la nature de l’homme en lui-même a été largement sous-estimée. 
Nous avons exploré le monde en n’écoutant qu’une seule voix : celle de la raison. 
Nous nous sommes appuyés sur les grandes idées philosophiques, les dogmes religieux, les certitudes scientifiques, et aujourd’hui, sur la logique consumériste du tout-économique, du tout-marchand. Acheter, vendre, produire, consommer — voilà notre quotidien. 

Mais la vie ne se résume pas à l’économie. 

Nous ne cherchons pas à connaître la nature : nous cherchons à la maîtriser. 

L’avènement des machines, les prouesses techniques et technologiques, nous ont donné l’illusion d’une toute-puissance. 
Mais à quel prix ? Surpopulation, crise écologique, violence omniprésente et retour des guerres épouvantables… Voilà où nous a menés cette volonté de domination, cette fuite en avant vers un contrôle total du vivant. 
 
Or, dans cette course, nous avons oublié d’écouter : la nature. 
La nature, disait Jung, c’est ce qui parle. Elle nous parle à travers les rêves, les symboles, les visions — tout un langage que seule la psyché peut réellement entendre. 

Mais notre monde moderne a relégué la psyché au second plan, comme une chose fragile, floue, presque dérangeante. 
Et pourtant, c’est elle qui pourrait nous aider à affronter le désordre de notre époque. 

En voulant soumettre la nature à notre volonté, nous avons négligé notre propre essence. Nous avons tenté de maîtriser le monde extérieur sans jamais plonger dans sa profondeur — ni dans la nôtre. 

Les guerres qui se multiplient, les barbaries qui ressurgissent ne sont que le reflet de cette ignorance : des hommes qui continuent de lutter pour dominer les autres, incapables de reconnaître que ce n’est pas la nature que nous dominons — c’est elle, non reconnue en nous, qui continue à nous dominer. 

Tant qu’on domine sans comprendre, qu’on agit sans écouter, les forces brutes — en nous et autour de nous — restent livrées à elles-mêmes. 
Non transformées, elles détruisent. 
Non reconnues, elles nous gouvernent. 
Car ce qu’on refuse d’éclairer devient ce qui nous engloutit. 

Dominer, ce n’est pas connaître. Et si nous dominions vraiment la nature, alors pourquoi serions-nous, aujourd’hui encore, submergés par tant de violence, tant de guerres, tant de chaos ?



19 juin 2025

Le paradoxe de la vie

La psyché, c’est la vie. Et la vie, comme les sentiments, n’est pas quelque chose de palpable — sauf lorsqu’elle se manifeste en nous, à travers notre corps, nos ressentis, nos émotions. 

Mais nos émotions — en tout cas en France — sont encore si peu considérées ! Il n’y a pas si longtemps, les exprimer était perçu comme une faiblesse. Se taire, en revanche, était valorisé comme une vertu. Bien sûr, les émotions violentes ou agressives n’ont jamais fait de bien à personne. 

Mais précisément, la psyché possède des versants positifs et négatifs. Tout n’est pas lisse ni blanc dans le monde psychique, comme d’ailleurs dans le monde physique. Or nous aimons croire que nous pouvons, sans conséquence, ranger d’un côté le blanc, le lisse, le bien — et de l’autre, le noir, le rugueux, le mal. Mais en pensant ainsi, nous ne faisons vivre qu’une partie de notre psyché. C’est justement ce qui m’a poussé à m’intéresser à toute la psyché — et donc à la psychologie des profondeurs. Cela m’a pris du temps, car il a fallu accepter ce qui est inconnu, ce qui échappe, ce qui est sombre — ce que nous appelons trop vite “mauvais”. 

Il existe, bien sûr, un “mauvais réel”, ce que Jung évoquait comme le mal radical, ou comme une force autonome dans la psyché. Mais bien souvent, ce que nous qualifions de “mauvais” l’est simplement parce que cela se tient dans l’ombre : dans l’inconscient, dans ce qui n’a pas encore été reconnu. 

La psyché, c’est tout cela à la fois : le sublime et le sombre, le lumineux et l’inquiétant — ce que nous connaissons, et ce qui reste à découvrir. Il est essentiel d’accueillir tous ces aspects, non pour les craindre ou les nier, mais pour permettre au développement psychique de se poursuivre. 

Parfois, d’ailleurs, ce développement peut s’arrêter net après un traumatisme violent. 
La psyché peut alors dysfonctionner — mais aussi produire du merveilleux. 
C’est ça la psyché ou tout le paradoxe de la vie. 


 Illustration ; Gaëlle Bacquet